Une chronique millimétrée dans laquelle monsieur Pingouin sait qu’il lui faut rester dans la mesure de l’acceptable. Son consensus : ne pas heurter les âmes sensibles de l’être ou de le paraître.
Après avoir suivi Charlie et les différents slogans tels que : « Je suis Chablis » , j’avoue honteusement avoir cru que l’hebdomadaire avait titré : « Tout est Chardonnay ». Est-ce moi qui avait poussé le bouchon un peu loin ? En tout cas cela expliquait passablement, sinon cautionnait, mon bec de bois depuis quelque temps puisqu’en grand défenseur de l’écologie, j’ai bien arrosé l’événement ce qui n’est que justice à mon endroit après avoir stationné plus d’une heure et demie rue du château d’eau àParis. J’espère que vous, mon lectorat, comprendrez que je puisse avoir cédé à la facilité et éprouvé le besoin de me remettre de mes émotions après avoir marché si longuement aux côtés notamment des Bibine et Tania Young, Charlie Bongo, Charla Bruni et autres Charlie Michel. ((J’aurais préféré me tenir aux côtés de Charlie et Lulu, Charlène de Monaco voire comme d’autres avec Charlize Theron mais dans la vie on ne Charlie pas sa famille, on ne Charlie pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher. ))
Quelques jours après cette marche historique du onze janvier, mon réveil est étrange. Je regarde autour de moi et l’horloge indique le temps des heures sombres où les illuminés s’imaginent qu’ils vont nous éclairer. La veille, je m’étais endormi après m’être fait traiter de Charlot par un type qui se dit marteau ou martel je ne sais plus, je ne l’ai pas en tête. En tout cas, je croyais gentiment que la liberté d’expression de journalistes et de dessinateurs venait d’être défendue, pourtant il me fallait déjà entendre des homo politicus déverser sur les ondes, à la France qui se lève tôt, vouloir accroître la surveillance de l’internet et sacrifier des libertés individuelles ((Entre autres Claude Guéant et Christian Estrosi)) . Quelle étrange façon de les défendre !
Ce n’étaient que les prémices d’une semaine encore plus étrange, ponctuée par l’arrestation de curieux individus faisant l’apologie de l’épouvante. ((Les condamnations qui ont eu lieu jusqu’ici me laissent dubitatif. Et je ne suis pas le seul. )) Les pattes au chaud dans mon petit nid douillet, je devais écarquiller les yeux et me demander : « Pourquoi accabler les victimes ? » C’est invraisemblable pour un petit pingouin comme moi. Et j’avais beau me dire que je me réveillais, je commençais à croire ou plutôt comprendre que le cauchemar était encore là, bel et bien là, bien installé dans l’air du temps : une véritable pollution, bien épaisse, concrète, sonore, puante et visible partout. Et si j’avais pu la chasser, honte à moi et mes intentions pacifiques, je jure que j’aurais demandé un permis pour pouvoir passer à l’acte, un jour peut-être. Je me serai fait moulin ; non, non pas Jean Moulin, ni un moulin à paroles, mais un beau moulin pour brasser, embrasser du vent ou vivre d’amour et d’eau fraîche. Pardonnez-moi mais là je divague et il faut que j’en revienne àciter l’appel à la restauration des sévices militaires généralisés pour les appelés du contingent.
Après le mariage, la manifestation, on remettrait la marche au pas forcée et la corvée de latrines pour tous ? Ensuite on se demanderait comment devenir un état policier tout en restant dans le rang bien étroit des démocraties, tout en conservant la devise libellée « égalité, fraternité » ? La voilà donc la belle union nationale ? Honnêtement, c’est une incitation au divorce, à la rupture à l’amiable, à la fracture sociale, à… à découvrir que tout le monde ne pense pas la même chose qu’un petit pingouin aussi gentil que moi. C’est trop triste et cyniquement j’irai jusqu’à dire qu’il n’est peut-être pas nécessaire d’apprendre à chacun dès maintenant à se servir d’une arme. Si l’État français se mettait à subventionner des formations de tir aux futurs terroristes, que dirait-on ? Mon intuition dit qu’il vaut mieux que je me taise là.
Et pourtant cela n’empêcherait pas les divers camps politiciens de vouloir apporter leur réponse à la menace terroriste surtout en renforçant « l’arsenal législatif ». C’est étrange, j’aurais juré qu’en novembre dernier, des initiatives avaient été prises. J’aurais même juré que l’hexagone connaissait le phénomène depuis déjà trop longtemps et qu’après cela le pays ne serait jamais à court de munitions. Qu’à cela ne tienne, il y en avait encore pour réclamer un « Patriot act » à la française, comme si l’hexagone avait quelque chose à lui envier. En ce cas, inutile d’attendre l’entracte, autant prendre les devants puisque nous connaissons la suite. Qui souhaite monter sur scène et y aller de sa tirade passionnée, quitte àêtre pessimiste et demander : « Quels seront les prochains théâtres d’opération ? Quelles devraient être les futures guerres d’Afghanistan et d’Irak ? » Bien entendu, j’exagère, je ne peux pas imaginer la France emprunter cette voie-là.
De toute façon, qu’on se rassure avec leur amour de la vertu, leur respect pour la mère patrie, ces gredins que sont les terroristes n’auront cure de violer de nouvelles lois. Décevoir la nation étant probablement le cadet de leur souci, les déchoir de leur nationalité me paraît aussi utile que cautère sur jambe de bois. ((À moins qu’il ne s’agisse d’une sombre tactique pour réduire le nombre de combattants français partis guerroyer en Syrie et en Irak. ))
Sachez, mon cher lectorat que je me situe dans le peloton d’inexécution, inapte au port d’armes et à la réponse armée. Ce n’est pas pour jaboter, mais je préfère être passé par les charmes graciles des ailes de ma bien aimée que par les armes faciles des fanatiques zélés bien mal-aimés. L’arsenic législatif, c’est moi qu’il empoisonne et empêche de militer pour la légèreté d’expression. En toute sincérité, ça devient lourd là ; je me traîne un véritable boulet aux pattes qui retient mes envolées lyriques. J’ai beau exagérer mais j’ai la chance de pouvoir oser la métaphore du plomb dans l’aile puisque contrairement à des Cabu ou Charb je n’en ai pas. J’ajoute que je ne peux certainement pas me plaindre d’avoir le dos lacéré comme un Raif Badawi et que contrairement aux anonymes réprimés dans des pays vraiment bien policés je sais encore m’exprimer (sans trop de crainte).
À ce tempo-là, il faudra vite dénoncer celles et ceux qui prennent la parole sans l’autorisation préalable des autorités. Et gare aux faux pas quand l’hystérie collective mène la danse ! Alors à suivre une cadence aussi infernale je crains déjà de regretter le temps où je pouvais traîner en chemin, puisque bientôt on me traînera en justice pour laxisme envers les preneurs de parole, et vous savez combien je respecte les amateurs de karaoké dont je ne doute pas un instant qu’après mon auguste personne ils seront les prochains sur la liste des personnes à faire taire…
Heureusement mon réveil a vraiment sonné, ma liberté d’expression de petit pingouin était intacte, alors je me suis mis à chanter la mauvaise réputation.