Vous reprendrez bien un peu de « Qui veut trinquer avec Wikileaks » ? (suite 2/*)


Depuis le temps que le site Wikileaks et son fondateur Julian Assange font parler d’eux, j’imagine qu’il n’aura pas échappé à  mon précieux lectorat hexagonal qu’il est paradoxal que ces derniers puissent continuer de se vanter d’avoir pour devise : « le courage est contagieux » alors que ce sont des spécialistes de la fuite. Somptueux paradoxe puisque pour l’instant, en ce qui concerne Julian Assange, aucune fuite n’a été organisée pendant son court séjour à  la prison de Londres, pas même son extradition vers un pays nommé étrangement Sverige, c’est à  dire comme on doit l’appeler normalement : la Suède.

La Suède est un pays où, en ces périodes de fêtes et de dépenses insensées, les parents se voient recommander par les pingouins ordinaires, tels que mon humble personne, de ne plus offrir de vélomoteur à  leur boutonneuse progéniture. En effet, c’est un pays où il n’est guère recommandé de faire du solex par surprise. La preuve en est avec Julian Assange qui depuis pédale judiciairement dans la semoule. Sans toutefois chercher à  critiquer le fait que certaines conduites soient plus adroites que d’autres, je dois bien vous avouer que ces questions ne concernent pas vraiment le site Wikileaks, si ce n’est qu’elles représentent d’une certaine façon une fuite dans la vie privée de Julian Assange. Quoi qu’il en soit, elles nous éloignent du principal sujet de cette odieuse chronique à  but non lucratif et néanmoins comico-homicide.

Wikileaks, cette entité non-gouvernementale qui donne aux fabricants de couches et à  bien des États tampons une raison de vivre, se targuait de libérer le 28 novembre 2010 la bagatelle d’un quart de million de câbles diplomatiques  ((251 287 comme il semble être affiché sur le site des fuites, ou une de moins si l’on jette un œil au fichier csv recensant l’origine et la date des câbles – fichier fourni par le Guardian. Bref, de quoi me rappeler que Wikileaks n’a toujours pas publié les 15 ou 16 000 documents restants du carnet de guerre afghan. )) , prisonniers de la confidentialité et du secret professionnel. À la stupeur de toutes celles et ceux qui s’attendaient à  un 11 septembre de la diplomatie qui verrait les chancelleries chanceler, quelque chose fit barrage au déluge de documents tant attendus. En effet, en dernière minute, un savant dosage au compte-goutte de 219 câbles fut servi par le site et 5 quotidiens de presse sous perfusion documentaire  ((Ils sont plus nombreux à  présent puisque les 5 ont été rejoints par les australiens the Age et le Sidney Morning Herald. Et cela n’a pas été sans controverse, loin de là . )) .

On l’aura compris, la différence entre le fameux cablegate “ avec lequel je n’oserais même pas me brosser les dents si les pingouins avaient eu des dents “ et les carnets de guerre afghans ou irakiens c’est qu’un mémo d’une chancellerie diplomatique n’a pas la même valeur qu’un rapport de situation rédigé par un homme des casernes après un affrontement ou la découverte d’une cache d’armes. Et pourtant, nul au Département d’État  ((Le Guet d’Orsay des États-Unis d’Amérique. )) ne s’est insurgé contre le fait que des mémos diplomatiques même résumés aient été disséminés auparavant. En effet, qui, à  l’été 2010, a tiqué lorsqu’un article sur l’Asie Centrale citait un ambassadeur des États-Unis en Ouzbékistan décrire sans langue de bois le fonctionnement des affaires politiques de ce pays de façon aussi dommageable et crue que d’autres ont pu le faire dans les câbles à  présent médiatisés ? Personne, parce que les groupes de presse avaient fait ce que les despotes aimeraient qu’ils fassent parfois plus souvent, c’est à  dire : se taire.

La totalité des câbles offrira sans doute quelque chose de plus clair s’ils sont pris dans leur intégralité, mais diffusés au compte-goutte ils permettent hélas de dire à  peu près tout et n’importe quoi. Eussent-ils été relâchés le même jour que cela n’en aurait été peut-être pas plus mal, on n’aurait pas eu à  attendre que les journalistes reviennent sur leurs éditions au fur et à  mesure qu’ils lisent de nouveaux câbles.  ((Les plus courageux auraient pu par exemple se pencher directement sur les 345 câbles concernant l’insurrection maoïste au Népal de début 2002 à  fin 2005. On aurait pu aussi découvrir les quelques documents datés de 1989, autour notamment du 4 juin, qui proviennent de Chine populaire et que l’on pourrait peut-être mettre en rapport avec les dernières pseudo fuites sur la volonté espagnole de lever l’embargo sur les armes à  la Chine. Mais peut-être qu’il vaut mieux s’adresser directement au Père Noël du Guardian pour espérer obtenir une réponse. C’est d’ailleurs ce que je vais faire. )) À titre indicatif et à  l’heure où j’écris ceci, ce sont les postes diplomatiques basés en Espagne et en France qui sont jusqu’ici la source majeure des fuites actuelles dans la presse alors que ce devraient être – en dehors du Département d’État – l’Irak, la Turquie et le Japon si l’on tient compte de la répartition des câbles selon Wikileaks.  ((Au sujet de l’Irak, on imagine que pour les journalistes qui ont déjà  couvert le carnet de guerre irakien, ce doit être une mine d’informations. Mais elle n’est toujours pas accessible au grand public sinon dans sa version caviardée par Wikileaks par crainte vraisemblablement de divulguer le nom de personnes qui pourraient être mises en danger par les fuites. Sauf que ce caviardage dépassait l’entendement et s’applique aussi à  des personnes déjà  décédées. Quant au Japon, à  cette heure, rien n’a encore été lâché dans la presse occidentale ou sur le site Wikileaks. )) Je comprends que les quotidiens soignent leur lectorat et s’attardent sur les sujets qu’ils connaissent sans doute le mieux.

Alors tirons donc sur Wikileaks pendant que des militants de la liberté d’expression comme le Guardian publient à  tour de bras les câbles et vivent peut-être de la prétention de nous faire croire aux scoops d’État permanents. Si l’organisation de Julian Assange leur a procuré en seconde main les documents  ((La première main étant celle du soldat Bradley Manning. )) , on se demande bien pourquoi tout le monde ne hurle pas après ces quotidiens, et a fortiori encore plus sur le New York Times qui a obtenu les câbles par l’intermédiaire du Guardian et non pas par le fournisseur officiel qui l’a boudé. Moralité : si vous avez quelque chose de confidentiel à  révéler, fuitez auprès des privilégiés habituels, pas auprès de Wikileaks. Les institutions dont le public a l’habitude de se méfier en prendront quand même pour leur grade.

Alors à  terme et avec un peu de chance on aura peut-être une couverture alternative valable de ces fuites, ou peut-être que l’on collectera quelques perles. En attendant, comme dit mon ami Louis qui a modifié la devise de Wikileaks à  son profit : « Courage ! Fuitons ! » . Ah ! Sacré Louis !


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