Le pays des cinq galets


Quel est donc le pays des cinq galets dont il est question ici ? Avant que mon lectorat ne me jette la première pierre, je dirai qu’il ne s’agit pas de jaboter au sujet de cinq personnes au physique peu gâté par la nature puisque je suis trop gentil pour me moquer de pauvres types fussent-ils cinq gars laids. ((Je renonce également à  me moquer des habitants de Saint-Gall en Suisse. )) Pour ricocher et revenir au propos de cette chronique lapidaire, je dirai qu’il s’agit du Sri Lanka où les natifs vont toujours par cinq et que c’est pour cette raison qu’ils sont appelés les Cinghalais. Comme leur nom l’indique, ils sont polis et font parfois de jolis bonds à  la surface de l’eau, où barbotent des petits canards qu’ils dévorent avec délectation en guise de plat national : je veux bien sûr parler du fameux canard lankais.

Comme les Cinghalais sont en majorité chez eux, ils vivent à  peu près partout sur leur île sauf au nord et à  l’est, où vivent des Tamouls, les Tamouls du Sri Lanka. À l’origine, les Tamouls viennent du Tamil Nadu en Inde, où il ne fait pas un froid de canard mais vraiment très très doux. Les Tamouls sri lankais n’arrivent pas à  vivre en harmonie avec les Cinghalais, qui eux aussi préfèrent vivre de leur côté. Le Sri Lanka est le pays des Cinghalais parce qu’ils y dominent la vie politique et sociale, et que depuis l’indépendance leurs élites en font baver aux Tamouls. Ces derniers, carriéristes assoiffés de liberté, d’égalité et non plus de fraternité insulaire, deviennent face aux Cinghalais des adversaires de taille ((En effet, les Cinghalais n’auront pas, vous allez le voir assez vite, affaire à  des tigres de papier. )) et décident de réclamer plus d’autonomie ou mieux un état séparé ; ce sera le début de la fronde entre les deux ethnies.

Cette volonté d’obtenir un État tamoul ne relève pas du dolmen du raisonnable en géopolitique parce que les Cinghalais, qui sont solides comme un roc et aiment vivre dans un pays monolithique, ne sauraient plier devant cette requête même en pratiquant la voie de la cession de territoire ou celle de la souplesse. À ce sujet, je laisserai filtrer l’information que les judokas japonais nous ont appris depuis longtemps qui est que le seul état étant connu invariablement pour mener à  la chute était l’État tamis. ((C’est une loi d’airain dont on connaît la chute. ))

Loin de désarmer devant l’idée d’un Eelam tamoul comme ils appellent cet État fantasmé, certains d’entre eux n’ont pas hésité à  faire main basse sur la représentation de la minorité ethnique en éliminant leurs adversaires au sens peu propre que la coercition musclée peut entraîner. Ce groupe bien intentionné à  l’égard des Tamouls et beaucoup moins à  l’égard de ceux qui ne partagent pas leurs idées, s’appelle les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ((On écrit plus souvent le LTTE que les LTTE pour évoquer le mouvement des Tigres de libération, dont la libération au passage n’a absolument rien à  voir avec un quotidien hexagonal. )) dont j’ai entendu trop souvent qu’ils avaient poussé leur dernier rugissement l’an dernier. Si 2009 n’était définitivement pas l’année des Tigres, je doute que 2010 le soit aussi et je me permettrai de faire remarquer qu’un tigre ne rugit pas mais qu’à  l’instar des chats et d’un certain Gustave, il feule.

Certes, depuis l’an dernier, les Tigres feulent beaucoup moins et semblent depuis leur défaite avoir abandonné la lutte armée qui avait fait leur réputation de terroristes assoiffés de sang ((Le LTTE a été inscrit sur la liste des organisations terroristes de plusieurs États dont l’Inde en premier et la majorité des pays occidentaux. )) . On avait même été jusqu’à  dire que les Tigres étaient inhumains, ce qui est tout à  fait faux. Les observateurs ont pu constater qu’ils étaient très humains à  l’instar de leurs boucliers et de leurs bombes dont ils sont les véritables précurseurs. ((Et non pas les militants islamistes comme l’actualité l’a trop souvent fait croire et comme cet article de Eleanor Pavey pourrait vous le montrer. Par ailleurs, je suis étonné que l’Organisation de la conférence islamique reste silencieuse au sujet de la minorité musulmane du Sri Lanka, que les Tigres avaient expulsé de Jaffna en octobre 1990. )) J’irai même jusqu’à  dire que le conflit dans lequel ils se sont impliqués était aussi participatif qu’un débat extrêmement populaire et démocratique puisque les femmes et les enfants y participèrent au même titre que les mâles adultes ; en effet, on trouvait des soldats parmi ces rangs les moins conventionnels, mais ce n’était pas nécessairement une caractéristique propre à  ce camp puisque les hommes des casernes cinghalais en auraient recruté aussi.

En effet, les conscrits lankais continuent de se multiplier depuis qu’un certain Mahinda Rajapaksa a été élu en 2005 à  cause des abstentions tamoules demandées par le LTTE. Grâce aux considérations égalitaristes de la militarisation de la petite enfance, les habitants du Sri Lanka seront tellement aguerris qu’une fois le pays pacifié, il faudra songer un jour à  leur payer une reconversion à  moins que toutes ces troupes ne soient envoyées en Afghanistan ((Y faire carrière bien sûr. )) .

Toujours est-il que pour l’heure, le problème du traitement de la minorité tamoule comme les investigations au sujet des exactions commises par l’armée reste au point mort. On pourrait même dire que Colombo proscrit l’enquête ((Et  si j’en crois un certain lieutenant je pense que Colombo renonce probablement à  en parler à  sa femme. )) et préfère s’occuper des prochaines élections des légistes lascives qui auront lieu en avril dans la joie et la bonne humeur si tout va bien. En tout cas, on ne me fera pas croire qu’au pays des cinq galets les gens puissent avoir un cœur de pierre ou rester de marbre, à  moins que je ne sois définitivement un pingouin idéaliste.


2 réponses à “Le pays des cinq galets”

  1. Bonjour Mr Pingouin,

    Merci pour cet article qui m’a fait bien marrer ! Eh oui, je suis contraint de prendre avec humour ce qui se passe au pays ! C’est dommage mais c’est comme cela !
    Il est trop dommage de voir une dictature souriante s’installer…

    Bises et bonne journée à  toi,

    Oo

  2. Bonjour Oo,
    Je suis bien content d’apprendre que l’article t’a plu. 🙂
    Concernant l’actualité, je ne sais pas ce que les législatives vont donner, mais peut-être que de nouvelles voix chez les Tamouls vont trouver un meilleur écho à  l’étranger que celui qui a été offert aux Tigres. Nous verrons bien de toute façon.

    Gros becs de petit pingouin et bon après-midi à  toi !

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