Billet de retard


Entendre quelqu’un se vanter d’arriver sur le champ tandis qu’il est à  la bourre est la preuve flagrante de l’existence d’une culture du retard dans l’hexagone. ((Parler de labour et de retard peut induire en erreur. àŠtre à  la bourre n’a aucun rapport avec le labour mais est parfaitement antonymique avec la volonté d’arriver sur le champ.)) C’est un mal profondément enraciné, croyez moi. De nouvelles excuses plus saugrenues les unes que les autres germent, puis fleurissent chaque jour dans l’esprit fertile des plus récidivistes des retardataires. Une mauvaise foi bien française contre laquelle les plus pointilleux et les plus tatillons des alcidés ont du mal à  se mettre en campagne tant leur peur d’avoir à  participer à  un exercice militaire les envahit.

Oui mon cher lectorat, il n’y a vraiment pas de quoi être fier d’être en retard à  quelque rendez-vous que ce soit. ((Une exception toutefois, si vous empruntez le RER B, auquel cas vous êtes pardonné(e), excusé(e) d’office.))  Je ne demande à  personne d’être aussi pointilleux que l’horloge parlante, je demande juste d’être à  l’heure. ((Et non pas râleur, comme pourrait le croire le lectorat parisien.))

Inutile de faire chauffer vos semelles en voulant partir à  point, la ponctualité n’est pas une question de cuisson mais de bonne ponctuation. Pourquoi ? Comment ? Quelle est cette vérité absurde, monsieur Pingouin ? Voilà  un exemple. En région parisienne, prenons deux points vente, ouvrons les guichets ((Par défaut les guichets SNCF ou RATP sont fermés.)) , exclamons-nous : « Ah ! Ligne A !» , en un saut rendons-nous donc à  la ligne, ensuite effectuons un crochet par une correspondance que nous respecterons bien entendu à  la lettre, puis l’air guilleret apostrophons notre voisin ou notre voisine (selon vos préférences) et ouvrons une parenthèse si l’air se fait trop étouffant. Enfin arrivés au lieu de rendez-vous, accueillez votre ami(e) à  l’heure prévue. ((Sitôt en bonne compagnie, on pourrait parler alors de l’heur de pointe. )) Pour le reste, je vous fais confiance, des points de suspension feront bien mon imagination.

Dans la culture du retard, l’individu invoque pour se justifier un contretemps, comme s’il était possible de contrer le temps, un peu comme une personne mouillée de pied en cap en raison d’une météo pluvieuse annoncée et avérée invoque l’oubli d’un parapluie et d’un imperméable. ((Oui, je sais ; les cyclistes me reprocheront de ne pas évoquer leurs courses contre la montre. Je maintiendrai cet état de fait tant que durera cette ignominie qui est tout de même de l’ordre de plusieurs centaines de massacreurs de pédales et de guidons contre une simple montre innocente. Pour se défendre elle n’a que trois aiguilles, une douzaine de chiffres, et son plus grand défaut contrairement à  ces vélocipédistes est sans doute de pouvoir rouler des mécaniques au sens propre comme au figuré.)) Malgré des preuves accablantes de son oubli, le retardataire récidiviste niera sa faute.

Ce que je n’aime pas chez ces retardataires-là , c’est leur panoplie de mensonges pour faire croire qu’ils sont en route alors qu’ils sont probablement encore chez eux au moment où ils nous envoient un texto. Par exemple, quand j’entends une personne prétendre être sur le quai en gare des Halles alors qu’elle n’a pas dépassé la station du Stade de France, je pouffe. Mieux encore lorsque la même personne dit : « Attends ? Tu ne me vois pas ? Je te fais signe de la main ! ». Je crois rêver en voyant cet individu essayer de renverser les rôles pour ne pas avouer son retard.

Ce n’est qu’un constat de pingouin ordinaire, mais je crois que d’une certaine façon, l’usage du téléphone cellulaire a rendu l’homme prisonnier de la technologie. ((Oui, de façon évasive je vous avouerai que ce jeu de mots doit être éculé depuis l’apparition du Bibop, peut-être est-ce parce qu’à  l’époque le marché de la téléphonie mobile était captif ?)) Mon bipède préféré pense pouvoir tout faire. ((Dans sa version primitive, l’homme annonçait en se rasant à  son miroir que d’ici quelques années il se verrait bien à  l’Élysée.)) L’information circule plus vite que lui, c’est ainsi. Pourquoi ? Parce que le temps s’écoule, et donc il est plus fluide que tout homo sapiens, Husain Bolt inclus.

Quand j’entends : « Alcidé, je fais aussi vite que possible. », j’évite de répondre : « C’était possible, mon cher ami, vous êtes juste allé moins vite. C’est ce que vous ferez la prochaine fois.» . En fait à  ce moment-là , je comprends indubitablement que je vais devoir attendre. Face à  tous ces assauts de mauvaise ponctualité, je ne peux que m’armer de patience et tout simplement attendre ((Pacifiste dans l’âme, avec ma patience pour seule arme je suis à  votre merci.)) . Si je pouvais monétiser ma patience, vous pourriez m’appeler Crésus, malheureusement pour moi le fait est bien connu, le temps c’est peut-être de l’argent mais il est capricieux et je vous l’avoue tristement : le temps paie rarement.

D’ailleurs comme  j’ai rarement mieux à  faire, j’attends, je suis patient, terriblement patient, à  tel point que certains au lieu d’un mot d’excuse m’ont déjà  envoyé un médecin pour essayer de me faire croire que ma ponctualité était maladive.

Quand je pense à  l’usage que l’on peut faire du temps, je me dis qu’il doit y avoir un temps pour presque tout c’est-à -dire beaucoup de choses, et constate en effet il y en a même un pour les chiens. Mon imaginaire me souffle qu’il y a le temps-poney, celui auquel se harnachent ceux qui s’attèlent à  être charrette. Leur acharnement au tamponnage systématique de tout ce qui ressemble à  un horaire fixé a de quoi désarçonner plus d’une personne à  cheval sur ses principes. Un tel renâclement à  la ponctualité évoque les temps bourrins qui ne sont jamais sans répercussions. C’est fini ; les gens qui sont charrette, je ne les crois plus lorsqu’ils me disent qu’ils arrivent sur les chapeaux de roue. Comme s’ils pouvaient me coiffer au poteau alors que je suis déjà  arrivé à  destination !

La ponctualité c’est une question poignante à  laquelle on peut répondre en un tournemain, ce geste du poignet que l’on effectue pour lire l’heure qu’affiche sa montre. La ponctuation, la ponctualité, le point et le poing, tout est lié et réside entre vos mains, amis retardataires. Vous me donnez envie de croire que le temps et le point doivent bien se marier dans l’accord comme dans le désaccord à  l’image du pourtant et du contretemps et du pourpoint et du contrepoint. ((C’est absolument inutile de vous le faire remarquer, mais il semblerait que temps et point aient chacun leur pour et leur contre.)) Et puisque vous avez coutume d’avoir du retard, vous devez prendre les devants. Devant les prendre, devez-vous tarder à  prendre cette coutume ? Non, faites au plus vite, comme vous aimez le répéter à  qui veut bien encore l’entendre.

Tiens, d’ailleurs il semblerait qu’en voulant finir ce billet je me sois mis en retard à  un rendez-vous. Cela tombe bien, la personne qui m’attend est un retardataire multi-récidiviste. Ce n’est pas pour jaboter, mais peut-être que je vais l’imiter et me trouver une bonne excuse. À mon humble avis cette chronique devrait faire l’affaire, non ?

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4 réponses à “Billet de retard”

  1. Clap, clap, clap!
    Enfin quelqu’un qui pense comme moi! J’avoue être fatiguée de toujours attendre les autres, d’arriver la première. De devoir souvent attendre dans ma voiture parce personne n’est arrivé…
    J’en arrive à  volontairement retarder mon arrivée, et je dois me faire violence pour ça, à  calculer un retard de 10 mn pour arriver au même moment que les autres. Et je continue à  être la première, à  devoir attendre. C’est usant.

  2. Félicitations Ink pour votre ponctualité et votre supériorité temporelle face à  celles et ceux qui ne se manifestent qu’en fin de cortège de l’incessant défilé du temps.

    Grâce à  votre aveu, je me sens moins seul et désormais n’aurai plus honte de clamer haut et fort : « Le retard c’est tabou, on en viendra tous à  bout. »

  3. Il y a une incapacité clinique chez certaines personnes d’arriver à  l’heure prévue. Même s’ils savent qu’ils ont besoin d’une demi heure pour arriver à  temps, ils partiront un petit quart d’heure avant. C’est quoi encore ce mot quand on est parfaitement conscient de commettre une faute/crime et pourtant on le fait?

  4. Bonjour la puce,
    Si c’est involontaire, je crois que le mot que vous cherchez est procrastination. En revanche, si c’est volontaire, on peut parler d’un acte délibéré voire même de connerie. Est-ce que je réponds à  votre question ?

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