Aung San Suu Kyi en jette


C’est vrai qu’elle a de l’allure, la dame de Rangoon, plus que le président français quand il essaye de s’en donner en nous faisant croire qu’il saccageait les édifices muraux berlinois pendant la journée porte ouverte du 9 novembre 1989 afin de donner au RPR une bonne façade. Ceci dit, ce n’est pas ce dont il est question ici puisqu’avant de m’emmêler les pinceaux, je voulais dépeindre la situation birmane et commenter le fait qu’Aung San Suu Kyi a interjeté appel de la décision qui étendait d’un an et demi son assignation à  résidence. Assignation qui, rappelons le, allait se terminer deux semaines avant les évènements pour lesquels elle a été condamnée.

Qu’avait-elle donc pu commettre de si grave pour mériter pareille sentence ? Tout simplement concurrencer la France en matière de droit d’asile en accueillant chez elle un homme-grenouille états-unien un peu illuminé, même si elle n’en avait pas le droit. Un tel altruisme n’aurait su passer inaperçu aux yeux vigilants des hommes de la junte qui font l’ordre, l’autorité, et la justice en Birmanie. En effet, le généreux Than Shwe lui-même a consenti à  réduire de moitié la peine initiale de trois ans de prison en lui permettant de servir cette peine à  domicile. ((La blague est que la lettre du général birman demandant la réduction de cette peine aurait été rédigée avant que le verdict ne soit officiellement rendu par le juge. C’est du moins ce qui est cité en anglais dans cet article du quotidien birman l’Irrawaddy : http://www.irrawaddy.org/article.php?art_id=16568))

D’une société humaine à  une autre, je m’amuse toujours de voir les efforts appuyés pour maintenir les femmes au foyer. Est-ce vraiment propre à  l’homme des casernes que d’agir ainsi avec une dame ? Les militaires sont pourtant réputés pour aller au feu, se défileraient-ils devant la femme au foyer ? Je m’interroge. Cela dit, ce n’est pas pour jaboter des torts et des travers d’un pays où l’on file droit ou à  la cuisine, mais voir que les prétendus forts et braves préfèrent maintenir en résidence surveillée une femme politique plutôt que de l’affronter politiquement, cela me fait rire. Certes, Aung San Suu Kyi n’est pas du tout le prototype de la femme battue, surtout quand on sait qu’elle a déjà  remporté les élections il y a presque vingt ans. De plus, avec quatorze années passées à  la maison sur les vingt dernières qui se sont écoulées, je comprends que les hommes de la junte puissent frémir à  l’idée d’affronter ses forces politiques, plus particulièrement si elle joue à  domicile. La lucidité de ces pauvres hommes des casernes birmans menacée par un redoutable adversaire est effarante.

Bien entendu, le petit pingouin, l’alcidé qui vous relate cette histoire sait très bien que la Cour suprême peut très bien maintenir cette décision. Cependant, il y a eu quelques modifications dans le paysage politique birman. Les prochaines élections annoncent la fin du règne des gérontes que sont à  présent Than Shwé et Maung Aye ((Numéros un et deux du régime actuel.)) . La junte, désireuse de se maintenir au-delà  des vingt-cinq pour cent de sièges qui lui seront échus automatiquement (et donc de faire meilleure figure qu’en 1990) , est en quête de légitimité.

La Ligue nationale démocratique ((LND ou NLD pour National Democratic League)) qui avait fait d’Aung San Suu Kyi sa candidate, s’interroge quant à  sa participation aux prochaines élections. Si elle le faisait, cela voudrait dire qu’elle devrait entériner l’annulation de sa victoire de 1990 qu’elle a continué de revendiquer jusqu’ici. Mais quelque chose a changé. La dame de Rangoon a décidé de revoir son soutien aux sanctions économiques. Sa nouvelle position vis à  vis des sanctions américaines (durcies sous le mandat de George U U Bush), permet premièrement à  l’opposante d’avoir un levier sur la durée et la sévérité de celles-ci, et permet deuxièmement à  la junte d’être présentée sous un meilleur jour. C’est à  dire comme celui d’une dictature militaire qui accepterait d’organiser des élections qui assureraient une forme de transition de la dictature pure et dure à  une démocratie que j’appellerai volontiers dirigée. Si la junte libérait Aung San Suu Kyi, elle n’en serait pas pour autant éligible en raison des critères électoraux inscrits dans la constitution, mais constituerait une opposante dont la voix critique sera incontournable. Et pourtant même si elle le faisait, il n’y aurait peut-être pas grand monde pour croire que les prochaines élections seraient libres et dénuées de soupçon.

Alors, oui, je suis favorable au renouveau des relations birmano-états-uniennes auquel Aung San Suu Kyi n’est d’ailleurs pas étrangère. Je pense même que cela peut jouer en sa faveur quant à  la décision finale de la Cour suprême. Certes, je suis un pingouin idéaliste, optimiste et qui comme d’autres se leurre souvent ((Au moins un exemple de ce genre avec cette déclaration datant de juillet 2003.)) , néanmoins la dernière sortie d’un officiel me dit que tout n’est pas perdu. Peut-être qu’après autant d’années cloîtrée dans l’immobilisme, la dame de Rangoon va déménager. Si cela se produit c’est sans ménagement que j’accueillerai cette bonne nouvelle.

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