Corridor sans retour


Il y a quelques jours, tandis que j’hésitais à  me préparer soit aux célébrations du serment du Grà¼tli soit au quatre-vingt-deuxième anniversaire de la création de l’armée populaire de libération, une nouvelle changea la nature dont j’allais vivre le premier août 2009. J’allais pouvoir pondre une nouvelle nécrologie ! La république bananière par excellence entrait en deuil.

J’aurais pu entamer cette chronique de façon cynique en annonçant que les époux Aquino étaient à  présent réunis, mais je n’en ai rien fait, et peut-être d’ailleurs mon cher lectorat que ces Aquino ne vous disent rien du tout et que vous auriez préféré que j’annonce la réunion des deux Corée, mais parfois même les alcidés ne font pas ce qu’ils veulent. Alors avant de sobrement annoncer le départ de cette remarquable femme, membre de l’élite philippine, qui avait eu le bon goût “ quoique un peu étrange – d’étudier le français aux États-Unis ((Sa famille avait décidé de s’y installer après la seconde guerre mondiale. )) , il tient à  moi de vous raconter plutôt pourquoi il est si ardu d’évoquer sa présidence sans évoquer la carrière politique de son époux, car c’est le décès de celui-ci qui fit d’elle la première femme présidente d’Asie. Voilà  une tragédie humaine à  laquelle les pingouins sont sensibles et qu’ils vont malgré tout se faire une joie de vous narrer, car les pingouins se moquent de tout, y compris de la mort.

Il était une fois, une jeune femme bien sous tous rapports, née au sein d’une riche famille sino-philippine “ le clan Cojuangco – qui possédait une banque qui possédait elle-même moult filiales au sein de l’archipel. Brillante et éduquée, elle s’enticha d’un jeune homme, Benigno Aquino ((Benigno Servillano Aquino, Junior. )) dit Ninoy de son petit surnom, également très bien sous tous rapports, issu de l’intelligentsia politique du pays et dont on peut considérer par son brillant palmarès qu’il en était l’enfant prodige. ((On le surnommait effectivement le wonder boy de la politique philippine et vous allez vite comprendre pourquoi. ))
Plus jeune correspondant de guerre en Corée à  l’âge de 17 ans, décoré de la légion d’honneur un an plus tard, il devint conseiller présidentiel aux affaires de défense et négocia à  l’âge de 22 ans la reddition du chef de la rébellion Huk, Luis Taruc, en mai 1954 ((La rébellion Huk était d’inspiration communiste et sévissait surtout dans le centre de la province de Luzon. A l’origine le mouvement Huk tire son nom du combat contre l’occupant japonais pendant la seconde guerre mondiale. En effet, Huk est le diminutif de Hukbo ng Bayan laban sa mga Hapon, ce qui se traduit en s’éloignant beaucoup du texte et en extrapolant avec les vocables communistes en vigueur comme l’armée populaire de libération contre l’envahisseur japonais. )) .
La toute aussi jeune et néanmoins palpitante Corazon Cojuangco ((Maria Corazon Sumulong Cojuangco .)) épousa donc le talentueux Ninoy du haut de ses 22 ans et de son titre de plus jeune maire de la patrie. Ce n’est pas en lui chantant Pepito mi corazon mais bel et bien Corazon mi pepito que de cette riche union naquirent cinq petits biscuits en forme d’enfants délicieux à  croquer dont quatre filles à  la vanille, et un garçon au chocolat qui fait aujourd’hui de la politique comme Papa et Maman, et aussi comme Grand-Papa. ((Ce dernier, Benigno Aquino Senior, eut le défaut de participer brièvement à  l’amitié nippo-philippine aux heures tragiques et les moins glorieuses de l’histoire du vingtième siècle, chose qui ne l’empêcha pas d’avoir un fils des plus méritants. ))
Notre recordman de l’escalade politique, après un mariage en grande pompe ((Et non pas en grandes pompes parce que la majorité des Philippins portent des tongs qu’ils appellent tsinelas. )) , reprit son envol et ne tarda guère à  devenir à  27 ans le plus jeune vice-gouverneur de province et ensuite à  29 ans le plus jeune gouverneur d’une province ((Celle de Tarlac, au centre du pays. C’est étrangement le fief des familles Aquino et Cojuangco, cette dernière y possède encore un vaste domaine : la Hacienda Luisita . Avec une superficie d’environ la bagatelle de 6453 hectares, soit le quart de la Seine-Saint-Denis, vous comprendrez qu’il y aura de quoi rire jaune lorsque Corazon Aquino accèdera au pouvoir et vous parlera de réforme agraire. )) et enfin le plus jeune sénateur à  l’âge de 35 ans.

Les époux Aquino, sont alors présentés comme le parfait couple d’intellectuels issus de prestigieuses familles et dépeints comme des individus altruistes se souciant tant de la cause du peuple que des problèmes de corruption ; ils semblaient destinés à  devenir les heureux locataires du Malacaà±ang, le palais de l’Élysée local. Après cette fulgurante ascension, Benigno Aquino l’étoile montante de la politique philippine était bien en droit de le penser. Toutefois, il arrive parfois que le destin s’emmêle les pinceaux ou se fait forcer la main par un autre homme politique tout aussi brillant mais que les pingouins décriraient plus probablement comme une créature au passé obscur : un certain Ferdinand Marcos, qui entendait rester président à  sa propre place de président qu’il trouvait des plus agréables ((Ferdinand Marcos fit son entrée dans le monde politique du haut de ses 18 ans en se rendant coupable du meurtre du politicien Julio Nalandasan qui venait de remporter une élection contre Mariano Marcos, son propre père. Après un an d’incarcération, le jeune homme finit par être relaxé non pas parce qu’il parvint à  prouver son innocence mais parce que le juge de la cour suprême “ qui n’était autre que le futur président fantoche Jose P. Laurel – estima qu’un jeune homme doté d’autant de talents ne devait pas gâcher son avenir en prison … )) . C’est cet homme là  qui parviendra non sans mal à  le mettre sous l’éteignoir.

Ferdinand Marcos, président pour la première fois en 1965 avec un mandat de quatre ans profite d’une bonne conjoncture qui lui permet d’être encore à  ce jour le seul président des Philippines à  avoir été réélu ((Avec environ 62% des suffrages et avec le plus haut taux de participation de l’histoire de l’archipel. Vous comprendrez assez vite pourquoi cet exploit ne s’est toujours pas renouvelé. )) . Au terme de son second mandat, il sait qu’il ne peut pas se représenter parce que la constitution l’en empêche. Coup de soleil ou coup d’éclat, voire même plus probablement coup d’État, Ferdinand Marcos s’offre un tardif cadeau d’anniversaire en éclipsant l’opposition, les dissidents de la majorité et tous ceux qui pourraient le gêner en les envoyant à  l’ombre après avoir déclaré la loi martiale le 21 septembre 1972.
Ninoy Aquino, qui pouvait caresser l’espoir de se faire élire président au mois de novembre voit donc tous ses rêves déçus lorsqu’il est incarcéré. Pour Benigno Aquino ce sera le début de la fin, mais il n’avait pas encore amorcé sa chute et en tout cas pas dit son dernier mot! Son épouse Cory, devint alors son porte-parole, puisque le dictateur avait eu la décence de ne pas emprisonner la plupart des femmes et des enfants de ceux qui pouvaient le gêner en politique. Benigno Aquino restera 8 ans dans les geôles où sa santé se dégradera tant et si bien qu’en dépit de l’amour de sa palpitante épouse Corazon et de ses enfants, il y sera victime d’une crise cardiaque qui lui servira de sauf-conduit pour aller se faire soigner aux États-Unis. Il y restera trois ans avant de se décider à  rentrer au pays. Tout le monde le mettra en garde car non seulement il n’y était pas nécessairement le bienvenu mais il y était surtout une espèce menacée d’extinction. Sachant qu’il était attendu de pied ferme, il ne renoncera pourtant pas à  revenir aux Philippines avec l’espoir de rétablir la démocratie.

Le 21 août 1983, l’avion qui transporte Benigno Aquino se pose sur le tarmac de l’aéroport international de Manille. L’homme politique sort de l’appareil, et n’a pas encore posé le pied sur son sol natal qu’il est abattu à  son plus grand regret ((Il portait un gilet pare-balles comme il l’avait fait savoir dans sa dernière entrevue. Déplorant le fait qu’un gilet en kevlar ne protégerait pas sa tête, il plaisanta à  ce sujet en recommandant aux journalistes de le filmer vite dans l’éventualité où quelqu’un s’amuserait à  se payer la sienne. Ninoy Aquino savait que sa vie était réellement en danger, mais croyait réellement que son retour permettrait de changer les choses. Et il n’avait pas tort de le penser. )) d’une balle dans la tête. Son meurtrier l’est également après avoir été immédiatement localisé par les très nombreuses forces stationnées à  l’aéroport ((Cela ne facilitera en rien l’enquête commandée par Ferdinand Marcos qui n’aboutira à  rien. Beaucoup montrèrent le dictateur du doigt, mais ce dernier se doutait également de ce qu’il se produirait si Benigno Aquino était lâchement assassiné. )) . L’évènement va écœurer l’opinion publique qui se morfondait de 18 ans de présidence Marcos prolongée. La mort de Benigno Aquino le porte au rang de martyr et va également permettre de porter sa veuve au rang d’égérie de l’opposition philippine. Les funérailles réuniront pacifiquement 2 millions de Philippins. Presque autant suffiront à  renverser le président Marcos le 26 février 1986. ((Après moult tergiversations, l’opposition décide de ne plus boycotter les élections présidentielles comme elle l’a fait en 1981 et Cory Aquino accepte d’endosser le costume de candidat. Ferdinand Marcos et elle s’attribueront la victoire. Les élections s’avèreront frauduleuses et mèneront au People Power qui mériterait amplement une chronique pingouinesque s’il était possible de conter l’évènement avec humour. L’évènement en tout cas aurait pu s’intituler la révolution jaune, car c’était la couleur de la candidate Aquino. Aujourd’hui certains ne s’en réclament pas nécessairement, mais ce fut le premier exemplaire des révolutions colorées qui ont fait les choux gras de la presse internationale. En tout cas le People Power inspira les Indonésiens lorsqu’ils destituèrent leur généralissime président Suharto. ))

Cory Aquino devint alors connue comme étant la première femme présidente d’Asie ((On pourrait pinailler sur le fait qu’en 1966 Indira Gandhi était Premier ministre et qu’elle disposait de pouvoirs similaires à  ceux de Corazon Aquino. Quant au titre quasi-posthume de Présidente honoraire de la République populaire de Chine attribué à  Sà²ng Qà¬nglà­ng en 1981, je dirai que cela ne compte pas. )) . Cory Aquino modifiait la constitution amendée de 1973, et le mandat présidentiel devint d’une durée de 6 ans et jamais renouvelable pour éviter qu’un autre Ferdinand Marcos ne se maintienne au pouvoir. Cette décision ne faut pas sans créer de problème pour chaque président qui lui a succédé puisqu’ils se sont tous évertués à  modifier la constitution de sorte qu’ils puissent briguer un nouveau mandat présidentiel ! en vain jusqu’ici comme en témoigne l’issue de la dernière danse de chacha de Gloria Macapagal-Arroyo. (( Chacha pour charter change comme réforme constitutionnelle et non pas comme reconduite à  la frontière en charter avec escale. ))

Cory fut aussi chargée de mettre en place la tant promise et nécessaire réforme agraire qui devait démanteler les haciendas et limiter à  seulement cinq hectares les possessions terriennes par individu. Elle promit de le faire et d’étendre la mesure à  ses propres possessions ; depuis, la propriété familiale, Hacienda Luisita, ne fit non pas seulement couler beaucoup d’encre mais aussi du sang. Cette réforme demandée depuis la moitié du vingtième siècle ne saurait trouver preneur au sein d’une population politique qui est elle-même composée de grands propriétaires terriens.

Le mandat de Cory Aquino ne fut guère de tout repos, car elle avait beau clamer qu’elle n’avait pas souhaité devenir présidente et que de surcroît elle n’y connaissait rien, certaines personnes se firent un malin plaisir de l’aider à  renoncer sans que son accord soit requis. Les trois premières années de sa présidence furent donc soumises à  des tentatives de coups d’État venant d’individus dont certains l’avaient autrefois soutenue pour faire chuter Marcos, et qui siègent encore au sénat aujourd’hui ! ((C’est le cas du sénateur Gregorio Honasan dit Gringo amnistié en 1992 par le président Fidel Ramos. J’aurais pu également citer Juan Ponce Enrile, ancien ministre de la défense pendant l’ère Marcos et actuel président du Sénat, qui fut accusé de connivence dans l’un des coups orchestrés par Gringo Honasan mais qui fut relâché faute de preuves. ))

Luttant déjà  contre vents et marées pour ne pas se laisser emporter par la vague de coups d’État qui ponctuèrent son début de mandat, Cory dut se battre contre les éléments naturels qui se déchaînèrent contre l’archipel philippin durant la deuxième moitié de sa présidence. Un tremblement de terre dans le nord de l’archipel, puis une éruption spectaculaire du Pinatubo et le typhon le plus meurtrier de l’histoire de l’archipel se succédèrent pour lui donner du fil à  retordre. Malgré un tel acharnement politique et climatique, et un bilan des plus mitigés, Cory Aquino resta en place. Et si son prédécesseur avait su faire l’unanimité contre lui à  la fin de son règne, Cory Aquino n’entama aucune procédure pour demeurer en place à  la fin du sien.

Par la suite, elle devint l’un de ces fantômes de la politique, qui n’apparaissent qu’aux heures les plus graves de la patrie que ce soit pour hanter la conscience de l’acteur présidentiel Joseph Estrada en 2001 et l’inciter à  quitter son poste au profit de l’actuelle présidente, ou pour demander à  cette dernière la même chose ou même pour faire campagne afin d’aider son fils à  devenir sénateur.

Désormais, Cory Aquino a quitté ce monde et ce n’est pas pour faire de la concurrence de basse-cour à  toutes celles et ceux qui auront chanté son envol vers paraît-il d’autres cieux, mais j’aurais bien poussé l’allégorie de son départ jusqu’à  lui souhaiter bon vent au son d’un petit « Go ! Cory go ! ». ((Allégorie d’un petit cocorico d’hommage à  madame Aquino. ))


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