En ces temps malheureux de morosité financière et de catastrophes aériennes, il m’a pris l’envie de chercher à comprendre pourquoi certains humains ont une peur redoutable de l’avion. À chaque fois que je pense aux avions, je me souviens de cet homme d’affaires anglais qui me racontait qu’il trouvait moins cher de voyager en s’accrochant à l’aile d’un appareil. ((Apparemment il n’est pas le seul à voyager de la sorte. )) J’imagine que c’est ce qu’il doit appeler héler un taxi ou quelque chose comme l’agrippe aviaire … à moins que cette appellation soit quelque peu erronée, bien qu’il s’agisse en l’occurrence de s’accrocher à l’aile d’un coucou.
à l’aube des départs des vacanciers du mois d’août, je peux dire que le sujet de cette chronique est dans l’air. Pourtant, loin de moi l’idée d’effrayer mon lectorat en vociférant : « Quand on arrive en vrille » de Daniel Balavoine, ayant conscience que cela pourrait créer la panique dans l’aérogare puisque ce chant est de mauvais augure si l’on se rappelle que ce chanteur a (bien ou) malheureusement fini par s’écraser. Que mon lectorat effarouché se rassure néanmoins, ce billet a beau être d’avion, il n’a rien à en craindre.
Intrigué par l’existence d’une telle phobie, je me suis demandé comment une invention hexagonale “ une idée à laquelle mon ami Clément adhère “ put autant sévir en France. Fallait-il en revenir en ces temps où leurs ancêtres, les Gaulois, craignaient que le ciel ne leur tombât sur la tête ? À moins qu’une partie de la réponse ne se trouve plutôt à cette époque où les têtes tombaient non pas du ciel mais des épaules. Qu’est-ce qui me pousse à exposer de tels propos ? Tout simplement l’origine du mot décollage. Ce n’est pas pour faire tapisserie dans ma propre chronique, mais quelque chose me dit que le décollage de papier peint n’est surement pas à l’origine de la phobie de l’avion. En effet, mon incollable lectorat sait que décoller peut se lire comme décapiter bien que pas nécessairement tel que l’on se l’imagine trop souvent avec une légère fraicheur au niveau du col. Avec une telle origine, dois-je me dire que les descendants des Gaulois ont désormais peur que ce soit leur tête qui tombe du ciel ? Voilà une expression qui à juste titre mérite que l’on y réfléchisse à tête recollée euh reposée euh je ne sais plus je suis moi-même tête en l’air.
Peu convaincu par les dérives étymologiques du mot décollage, j’ai cherché plus loin dans la mémoire collective des êtres humains. C’est bien entendu le baptême de l’air qui m’a mis sur la piste avant l’envol de mon propre raisonnement. Vous essayerez peut-être de me faire remarquer que le raisonnement d’un pingouin puisse battre de l’aile et donc être bancal, mais je vous répondrai avant que ce n’est pas moi qui ait commencé à trahir les directives essentielles et divines, fussent-elles transmises à l’humanité par conifère incandescent interposé et retranscrites à la dizaine sur tablette lithique … plus connues sous le nom des dix commandements. L’une de ces directives divines enjoint l’être humain à ne pas voler ((Tout en sachant que l’Ascension est bien entendu le comble de cette interdiction. )) .
Ainsi, après des siècles de catéchisme, en en venant à qualifier leur premier vol de baptême de l’air ((De toute façon, le bipède chrétien n’est pas à une contradiction près en parlant de baptême de l’air. J’imagine qu’à plusieurs cette formalité s’appelle une communion, et que lorsque ses semblables essayent de voler sans pilote dans l’avion ils appellent cela une profession de foi. )) , les bipèdes se mirent à nager en plein blasphème. « Tu ne voleras point. », leur avait-on dit, mais la tentation était trop grande. Dédale, labyrinthier athénien renommé et voué à être embastillé par ce crétin ou crétois de roi Minus ou Minos je ne sais plus trop, décida de se travestir au moyen d’ailes en plumes d’oiseau afin de mieux jouer la fille de l’air. Son fils, Icare, autre voleur célèbre ou céleste eut moins de chance et fit comprendre au monde entier que l’interdiction divine n’était pas à prendre à la légère. Depuis, des générations d’ingénieurs aéronautiques tentèrent de sécuriser les lignes aériennes en élaborant des aéronefs un peu plus complexes, avec des résultats plus ou moins mitigés jusqu’à ce que deux guerres mondiales démontrent la capacité homicide de ces engins déclinés à la sauce militaire et que les retombées de leur savoir-faire dispensent au reste de l’humanité la possibilité de voyager plus vite que ce qu’ils avaient connu jusque-là .
Entre nous soit dit, le vol de l’homme n’est pas une si grande performance puisque dans le monde animal il n’a pas été le seul à chercher à conquérir les cieux. Ce n’est pas pour bramer, mais le cerf vola avant l’homme moderne, s’attirant ainsi les foudres d’un ciel peu enclin à abandonner son territoire aux mammifères terrestres. Pour autant que le danger de voler soit réduit, il n’élimine pas la peur. En dépit de l’existence d’autres mammifères terrestres qui ont prouvé qu’ils étaient capables de voler avant l’Homme, la sécurité aérienne ne fait pas grand chose pour rassurer les passagers. Ce n’est pas pour jaboter, mais au sein du personnel naviguant commercial il y a ce grade de chef de cabine qui n’existe même pas à l’essayage chez Etam. ((Peut-on parler d’un chef de cabine sur un vol d’essai ? Les médisants ne me feront jamais écrire vol-décès, qui est un jeu de mot bien trop pessimiste à mon goût. )) Chef de rayon aurait été un titre plus honorable mais implique que les personnes le portant soient particulièrement brillantes, pour autant je ne tiens pas à les faire apparaître sous un mauvais jour. Chef de rangée aurait sans doute été plus approprié, parce qu’un chef par rangée c’est la preuve qu’un avion est bien organisé.
Par ailleurs, il y a d’autres noms qui sont malheureux et qui n’inspirent pas la confiance de mon lectorat en leur dévoué équipage. Il n’y a pas plus de moteur grippé ((Chose qui aurait titillé Daurat, ce brave monsieur qui, sans jamais se laisser démonter par les starlettes de la profession comme Mermoz, faisait apprendre aux pilotes la mécanique de leurs appareils.)) qui tienne aujourd’hui tant ils sont contrôlés, que de raison à ne pas vouloir saisir le bon côté des choses lorsqu’il est question de l’atterrissage.
Le retour sur la terre ferme, sol meuble brouté par les ruminants de la plus noble espèce, devrait se faire sans crainte. Par exemple, mon lectorat apeuré par le transport aérien pourrait penser à l’emphase d’approche qui ne consiste pas à tâter le terrain en venant fourrer le nez de l’avion un peu partout, et mon lectorat pourrait aussi s’essayer à sentir l’entrain d’atterrissage, autant d’expressions qui à elles deux devraient expliquer que l’on applaudisse les deux pilotes qui ont posé l’avion sans encombre. C’est à dire avec moins de tracas que l’on peut en susciter en posant un lapin.
La conclusion de cette vertigineuse chronique se faisant imminente, je vous recommande d’attacher votre ceinture car avant que ne vous quittiez cette zone de truculence, c’est bien facétieusement que je dois vous avouer que cette histoire est en chute libre. Toutefois, rassurez-vous, mon cher lectorat, cette extrémité est indolore.
3 réponses à “Chronique de haut vol”
« ce chanteur a (bien ou) malheureusement fini par s’écraser »
mais il semble me souvenir que c’était en hélico ! rien à voir avec l’avion. 🙂
Bonnes vacances ! je croyais que vos origines étaient plus nordistes cher Monsieur Pingouin.
Pour une fois que j’ai le temps de lire un de tes billets en entier, je m’en felicite. Bravo, tres bien ecrit et pense. J’ adore le Clement adhere !
T. en voyage egalement…
Chère Thaïs,
En effet, c’est bien en hélicoptère que Daniel Balavoine s’écrasa, mais je n’ai jamais voulu faire croire qu’il avait péri en avion. J’ai juste voulu me moquer de sa chanson de Starmania. :=)
Cher Toréador,
Merci et bonnes vacances. 🙂