… elle demanderait l’aide de monsieur Pingouin pour mourir de rire, d’autant que la France a déjà des précédents en la matière. ((Parler de la suisse idée, n’est pas une idée aussi riche que l’on pourrait bien le croire.)) Mourir de rire est bien la seule chose dont je veux bien périr puisque c’est vivifiant, et qu’en ce qui concerne le travail ((Je refuse en effet de me tuer à la tâche au seul prétexte que mon amour propre immaculé me commande de ne pas mourir lessivé au seul motif qu’on l’aurait entaché avec cette sinistre valeur appelée travail.)) ou l’ennui : je suis contre, surtout pour ce qui est de l’ennui, et ce même si l’on ne m’a pas demandé mon avis. ((Vous remarquerez que l’ennui et la mort sont deux amants qui ne demandent qu’à être trompés.))
Ce n’est pas pour jaboter, mais si je vous laissais mourir d’ennui, on m’accuserait aussitôt de non-assistance à personne en danger, c’est vous dire si je suis favorable à cette forme humoristique de suicide assisté et, à quel point la sécurité sociale devrait rembourser la lecture de mes chroniques parce que mon acharnement a des vertus thérapeutiques.
J’accepte les patients comme les impatients, avec ou sans couverture sociale, fussent-ils ou non à découvert en cette période hivernale de crise, pourvus ou dépourvus de mutuelle universelle. Je débite mes âneries, autrement dit je brais, si possible à vos dépends parce que vous l’aurez bien compris depuis le temps, c’est bel et bien vous qui faites les frais de mes billets. ((Je vous le dois bien, mon cher lectorat, c’est grâce à vous que j’effraie la chronique.))
En cas de bourdon, je ne sonne pas le glas, je préfère administrer des piqures de rappel, comme d’autres administreraient l’amour en célébrant des mariages. Ce n’est pas parce que j’ai la chance d’avoir du piquant que j’incite pour autant à faire du cinéma dard et décès. Aux raisons funèbres du second, s’oppose l’oraison pingouinière du premier qui n’a absolument rien de mortel.
Entre nous, mon cher lectorat, rire de l’assistance n’est pas chose commode, surtout sur les planches, me feront remarquer les plus comédiens d’entre vous. Dans une société où l’on demande à chacun de se prendre en charge, de se remuer le postérieur ailleurs que sur les pistes de danse, je trouve assez drôle de dire que l’on vit dans une société d’assistés. Alors y parler de suicide, assisté de surcroît, c’en est trop pour certains qui s’insurgent ainsi : « Encore des assistés ! Déjà qu’il faut les aider à naître, mais en plus il faudrait faire pareil pour qu’ils meurent. Impossible de rester spectateur de tout cela, il faut que je prenne les choses en main !» . Sans doute l’incarnation d’un certain interventionnisme qui ne recule devant rien et qui si vous me passez l’expression n’y va pas de main morte.
Il y a pourtant bien des choses auxquelles nous assistons sans rien faire : le pessimisme abusif qui s’insère dans toutes les franges d’une société où l’on rase gratis, les centres de rétention où la retenue est loin d’être au centre de toutes les attentions, les reconduites à la frontière dont on pourrait hélas dire que ceux qui les exécutent sont aux frontières de la bonne conduite dès qu’il s’agit d’atteindre un nouveau sommet dans cette escalade de chiffres, bref j’en passe et des montagnes. Malgré la morosité ambiante, contrairement aux idées reçues et aux rêves les plus fous des chasseurs en manque de trophées, je ne me laisse pas abattre. Voilà une phrase qu’aimeraient prononcer de nombreux arbres au moment où des bucherons s’attaquent à leur vie par le tronc ou la racine.
S’il n’est pas aisé de se moquer de l’assistance, il en est de même avec le suicide. D’ailleurs pourquoi en rire ? C’est tellement triste. Non, sans plaisanterie aucune, jamais vous ne rencontrerez des gens “ sinon des menteurs – qui vous diront au cours d’une conversation : « Oh vous savez mon bon monsieur Pingouin, moi, j’ai le suicide joyeux. C’est pour ça que je suis récidiviste. À chaque fois que j’essaie, je me rate, c’en est à croire que la vie tient plus à moi que moi à elle. Alors je vous le demande mon cher ami : comment fait-on pour divorcer de la vie ? Elle et moi n’avons même pas de contrat de mariage, et j’ai beau faire tout ce que je peux pour la quitter, au mieux tout ce que je parviens à faire c’est tromper la mort.» . Que ce genre d’individu se détrompe, car il nage très certainement en plein délire.
Aider les gens à mourir de rire est une activité qui consomme beaucoup de temps, et le pire, c’est que l’on a beau essayer d’écrire des chroniques assassines, les survivants en redemandent. Bande d’insatiables récidivistes !
Ces gens-là vont me survivre et ils n’en ont pas conscience. Et le pire c’est que je suis loin d’être assisté depuis que j’ai appris que le ridicule ne tuait pas. La preuve la moins sobre qui sied à cette chronique fut incarnée par la présidence russe de feu Boris Eltsine. Une autre plus actuelle serait celle d’un certain George W. Bush, pointure en matière de ridicule, qui même en fin de mandat nous réserve encore des faux pas des plus surprenants. ((Vous aurez remarqué que l’on peut interpréter diversement la chronique « à babouches ! » en chaussant du 44.))
Fort heureusement pour moi, grâce à vous je ne suis pas près de désespérer : j’ai assez à rire pour plus d’une vie avec toute l’activité humaine en ce bas monde lorsque je la contemple en plein vol avant de piquer une tête dans l’océan. Plus j’observe l’activité de l’homo sapiens et plus je me dis que vous êtes un éternel bêtisier, vous faites mentir des milliers de maximes comme errare humanum est, persevare diabolicum ((L’erreur est humaine, persévérer dans cette direction relève du diabolique.)) à tel point que vous méritez pour cela d’être préservés.
D’ailleurs au passage, le pauvre diable n’a vraiment rien à faire là dedans, vous avez juste le chic pour pour lui faire porter le chapeau. ((Un bicorne, je présume ?)) Quant à titrer des choses comme Harare humanum est, comme l’ont fait certains en voulant diaboliser Robert Mugabé, je tiens à dire qu’ils se trompent. Pourquoi ? Parce qu’il est des vôtres, vous pouvez le renier, mais j’insiste, il est des vôtres, c’est un être humain même si je vous concéderai volontiers que bien heureusement vous ne lui ressemblez pas tous.
Mais alors pourquoi avoir donc usé d’un titre aussi aguicheur pour ne pas dire racoleur ? Parce que si j’avais évoqué ce à quoi mon ami le suisse Cid assistait, j’aurais moins attiré le regard de vos congénères. Imaginez une minute le Cid déclamant avec un très fort accent vaudois sa célèbre tirade : « Orages, à” dépressions, à” rhumatismes ennemis, n’ai-je donc tant vécu que pour ces intempéries ? » , puis se ravisant après avoir prononcé le dernier mot pluvieux, il corrigerait ainsi d’une voix plus vieille : « N’ai-je donc tant vécu que pour l’euthanasie ? » . Ma réponse est « Non ! » bien évidemment, surtout parce que nous n’en sommes pas à l’heure des concessions et ce pour la bonne raison que mon ami s’est fait quitter par son rêve de toujours, la belle Chimène, cet idéal qui s’est fait chimère depuis qu’elle a fichu le camp avec le prince charmant, qui a tellement d’atouts en mains qu’on le surnomme le tombeur de ces dames.
Avec le même sens de l’interdit qu’ont certains banquiers, je lui ai rappelé qu’il n’avait pas épuisé son capital de charme, et qu’il lui était inutile d’avoir le moral en berne plus que de raison. Son mal de cœur n’étant pas incurable, même si son traitement peut prendre beaucoup de temps, je lui ai rappelé qu’il y en avait tant d’autres bien plus graves, qui pour être apaisés nécessitent des réponses qui ne figurent certainement pas dans cette chronique. Alors plutôt que de le laisser crier au loup une nouvelle fois, je l’ai mis en garde parce que j’aurais été bien en peine de faire venir le vétérinaire pour un cas aussi peu désespéré que le sien. D’ailleurs je lui ai dit que sur ce créneau là , il y avait déjà le malade imaginaire, et que la concurrence déloyale ça n’allait bien qu’au prince charmant, qui ne perd rien pour attendre.
À présent que j’aborde ma phrase terminale, je vous rassure mon cher lectorat, bien qu’étant au même titre que vous un mort en suspens, je ne vous surprendrai guère si je vous annonce que nos jours sont comptés. ((S’ils vous sont un jour contés radiophoniquement par le célèbre Geiger, je pourrais me vanter d’irradier vos journées grâce à mon intense rayonnement dû à la radioactivité.)) Là où je vous surprendrai, c’est qu’ils le sont de la plus belle façon. En effet, grâce à cette chère demoiselle, dont l’imaginaire fécond produit ce très beau calendrier de l’avent ((De lavande tant il fleure bon.)) , vous serez délivrés des souffrances de la monotonie hivernale grâce à des traits oniriques et des couleurs chatoyantes, qui contrairement à moi n’ont absolument rien d’ordinaire.