Devenir gris


Devenir gris : une chronique dans laquelle la crise montre son visage à  monsieur Pingouin.

Lorsque j’ai commencé la rédaction de cette chronique j’ai pensé à  Alain Bashung et j’imaginais titrer celle-ci de façon à  évoquer sa petite entreprise qui ne connait pas la grise, mais je n’ai pas su être assez Joséphine ((Joséphine le pingouin c’est ridicule : d’abord parce que je m’appelle Alcidé, ensuite parce que c’est un nom qui sied bien plus à  l’épouse d’un empereur et enfin parce qu’il est hors de question que je chante quoi que ce soit d’osé, je suis trop prude pour cela.)) car en réalité ce beau titre aurait évoqué un sacré bordel, alors que vous êtes tout de même ici chez moi et que la décence me refuse de vous en clore l’entrée si j’ai bien saisi le principe des maisons closes.

Alors si vous en avez assez d’avoir le blues ces temps-ci je vous invite à  laisser place à  la grise. Et non pas Grease ! En effet, il n’est pas question ici d’une comédie musicale remplie d’ados gominés et de demoiselles fardant comme elles peuvent leur acné juvénile, sans quoi les plans de sauvetage des banques naufragées auraient été effectué de la manière suivante : par un copieux arrosage à  l’eau précieuse, et non en recourant aux embruns d’État, dont j’avoue que les modalités me laissent dans le vague.

Oui, mon cher lectorat, c’est la grise du crédit ((Enfin, il paraît, j’avoue que je suis incapable de le vérifier par moi-même)) . Jamais un tel crédo n’aura été aussi peu crédible pour les banques, dont je suis certain que vous demandez à  certains de leurs employés si vous pouvez retirer tous vos avoirs de leur établissement, ce à  quoi il vous répondent « Oui, bien sûr… » sur un air quelque peu emprunté. Oui, c’est bel et bien la grise du crédit, mais pas seulement ((Paraît-il là  aussi, et je suis tout aussi incapable de le vérifier.)) et pas partout pour autant, en tout cas pas chez les pingouins. Comme quoi il reste encore des valeurs refuges. Je signalerai au passage que cette morosité que l’on m’assène à  longueur de journée contribue à  essayer d’occulter quelques bonnes nouvelles de ce monde lointain.

Ces temps-ci, la presse, qui ne doit avoir rien d’autre à  faire que ça, suit avec tant d’inquiétude la volatilité des échanges boursiers que j’en croirais presque à  l’inoculation de la grippe aviaire chez ces poules mouillées de courtiers ((Qualificatif pour le moins méchant pour la profession qui est médiatiquement réputée prendre des risques.)) . Avec cette chute des cours du genre « on a décidé de se planter le bec dans l’eau », j’avoue que le plongeon est réussi : un plat indigeste, des éclaboussures un peu partout dans le monde et des miettes pour ceux qui sauront les picorer.

Ce n’est pas pour jaboter, mais autant je sais bien que chez vous les homo sapiens faire du plat c’est faire de la drague, autant à  ce degré là  je m’attends à  ce que certains raclent bientôt le fond de l’océan. ((On pourra objecter que les fameux requins de la finance sont dans leur élément et qu’il y en aura toujours pour faire de bonnes affaires en ces temps où l’on solde avant Noël.)) Remarquez, avec un peu de chance, il y en a bien un qui tombera sur une perle ou du pétrole.

On ne le répètera jamais assez, la Lehman Brothers, qui a été envoyée par le fond par sa détention d’actifs réputés d’une toxicité à  faire passer la tragédie de Bhopal ou la marée noire de l’Erika pour des petits accidents de rien du tout, a fait comme moi lorsque je m’éclipse après un dîner : elle vous a faussé compagnie, ou en terme plus pingouinier elle s’est volatilisée dans la nature. De là  à  dire que les meilleurs partent les premiers, il n’y a qu’un pas que contestent les heureux survivants et les adeptes du darwinisme.

Ce n’est pas grave de toute façon, s’il y avait une vraie crise d’envergure internationale, cela se saurait puisque l’on aurait réuni la cellule du même nom au Guet d’Orsay. Ah ? Ce n’est que pour les crises extérieures à  la France ? Allons c’est en grande partie le cas, la grise est mondiale, et pourtant cette cellule n’a pas été utilisée. Donc, je reste très confiant en l’avenir et ma mauvaise foi.

Certes, un plan de sauvetage communautaire a été annoncé à  l’Élysée. Vous avez dû en entendre parler : une agrégation d’éminences grises européennes qui ont exceptionnellement utilisé la cellule de dégrisement du palais, dont l’hôte n’est pas réputé pour ce qui est de faire un usage intensif de ses cellules grises … pardon je me trompe ! Calomnie ! Je voulais dire que l’homme en question n’est pas réputé pour griser ses cellules, et ce y compris aux réunions du G8 en compagnie d’un garçon qui incarne la sobriété mieux que personne : le terne, non pas Yves ((Blague éculée, mille fois trop facile, mais à  l’usage de mon lectorat wallon qui pense tout le bien qu’il veut d’un certain Yves Leterme.)) , mais Vladimir Vladimirovitch Poutine.

De toute façon, mes chers amis qui vivez dans l’hexagone, cette année, comme vous l’avait promis le président du pouvoir d’achat, vous aurez de la croissance. Chose honnête puisqu’il n’a jamais précisé si elle serait positive ou pas. L’accuser de mensonge serait donc particulièrement outrancier de ma part ou de la vôtre. Donc cette année, disais-je, nous aurons de la croissance négative puisqu’il n’est plus possible de parler de la récession, parce qu’à  en croire un député, il s’agirait d’un gros mot. Gros ? Voilà  qui est pour le moins étonnant. Ce mot de neuf lettres est moins gros que la combinaison des dix lettres de croissance et des huit de négative. Il y a là  deux poids, deux mesures, et c’est un natif du signe de la délation et de l’insouciance qui se fait un plaisir de vous le rapporter. ((Oui, je suis une vile balance. Et ce n’est pas pour me dénoncer mais il y a bien des choses dont je me balance.))

Alors il n’y a pas de crise, ce mot est tabou lui aussi, mais la grise – j’en suis sûr – est bien là  et je le vois bien sur la plupart de vos mines à  présent moins roses que des images de la Mort au JT, où il est très en vogue de nous montrer des maniaco-dépressifs en salle de marché. J’ajouterai d’ailleurs qu’il est très à  la mode de dire que les derniers évènements grisent tant Lacroix que Christian Dior, d’autant que Sarah Palin a décidé de rendre sa garde robe. À 150 000 dollars US pour l’ensemble des tenues ((Ou pour l’ensemble détenu, c’est vous qui voyez.)) il serait quand même faux de dire que la coupe budgétaire est de taille pour nos pauvres, vaillants couturiers puisqu’ils pourront toujours compter quoi qu’il arrive sur l’épouse du Président de la République.

Enfin, quant à  savoir si vous ou moi allons devoir trinquer, hé bien, je m’y refuse à  moins que ce soit dans un débit de boissons. J’accepte alors de me griser un peu, mais là  toute cette grise médiatisée n’a raison que d’une chose : le moral. Alors craignant la pluie comme un été anglais, de peur que la grisaille ne fut aussi longue, je vous en conjure : évitez de devenir aigris. Ne cédez pas aux sombres agents qui veulent vous inculquer la dépression économique parce qu’ils sont en manque de sujets plus croustillants. Suivez comme moi ce conseil que n’a jamais dit Francis Blanche dans les Donjons flingueurs : «Touche(z) pas aux gris sbires, nyctalope(s) !» ((Mon lectorat geek aura bien entendu reconnu ce clin d’œil aux elfes du Donjon de Naheulbeuk, les autres sont invités à  en découvrir le premier épisode dans lequel l’humour n’est pas petit mais nain, et c’est là  toute la différence.))


4 réponses à “Devenir gris”

  1. Ah Visage, toute mon adolescence et plus encore… Je ne savais pas que tu faisais aussi des chroniques musicales sur ton blog. Celle-ci est excellentissime (et je pèse mes mots) et se retrouvera dans ma sélection bloggesque de la semaine 44 à  paraître dimanche prochain. et hop !

  2. Bonjour Cécile,
    Quoi de neuf ? 9-)

    Oui, il m’arrive de faire des chroniques musicales, et je suis ravi de voir que la dernière t’a plu. D’ailleurs je suis même honoré d’apprendre que je serai dans ta sélection de la 44ème semaine. 🙂

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