Malaise dans la civilisation et tabula rasa


Tenant à  remercier Emmanuel Raveline, spécialiste en pastiche ((Et non pas en postiche, contrairement à  cette chronique capillotractée.)) , de m’avoir soufflé précédemment la première partie du titre de ce billet, j’ai presque envie de m’allonger sur le divan de ce bas monde où l’on prise les blogueurs qui, loin de faire leur diva et les faits divers, feront deux hivers en prison. Plutôt que de me livrer à  un redoutable exercice de psychanalyse j’inviterai plus volontiers monsieur le Premier ministre de la Fédération de Malaisie, Abdullah Badawi, à  faire son examen de conscience ou à  faire tabula rasa voire la boule à  zéro.

Pourquoi ? Parce qu’il est question pour certaines personnes de se raser la tête en signe de soutien à  un blogueur malais plutôt chauve aujourd’hui détenu répondant au surnom de RPK ((Le blogueur malais Raja Petra Kamarudin, chroniqueur de la plateforme d’information Malaysia Today. )) . S’agit-il d’une parade pour éviter que le gouvernement malais ne vienne chercher des poux aux blogueurs de l’opposition ? Non, je ne pense pas, pas plus qu’il n’est question d’une publicité pour la marie-rose ou d’une tentative de rallier Bruce Willis ou Kojak à  leur cause.

Ce n’est pas pour tiquer, mais si la justice peut paraître lente pour certains, elle peut être tout simplement expéditive voire inexistante pour d’autres. En effet, si j’évoquais plus haut deux hivers en prison c’est parce que RPK a été placé en détention provisoire pour deux ans par décision du ministre de l’intérieur (( Syed Hamid Albar, ministre de l’intérieur de la Fédération de Malaisie, qui a donc placé le 23 septembre dernier le blogueur à  deux ans de détention provisoire renouvelables indéfiniment et sans jugement au centre de détention de (très) haute surveillance de Kamunting. RPK était déjà  en détention depuis le 12 septembre, date à  laquelle il fut emmené de son domicile à  l’équivalent du 36 quai des orfèvres de Kuala Lumpur pour être interrogé.))  sous prétexte que ses articles calomniaient l’islam et causaient préjudice à  la sécurité du pays.

Lorsque la religion se fait affaire d’État, il n’y a d’état qu’à  faire jaboter religieusement les pingouins. Si RPK était islamophobe, je pense que cela aurait été remarqué par ses nombreux lecteurs malais qui sont majoritairement musulmans, et même par certains alcidés lorsqu’ils prennent le temps de consulter quelques uns de ses billets. Pourtant, cela n’empêche pas le gouvernement de lui faire suivre un programme de réhabilitation religieuse.

Tout ceci pour vous dire, mon cher lectorat, qu’en dépit du crâne échevelé de RPK les autorités malaises n’ont eu aucun mal à  le boucler en prison grâce à  une loi inspirée du temps des Anglaises ((Et des Anglais of course. )) , j’ai nommé l’I.S.A. L’I.S.A pour Internal Security Act qui est célèbre pour passer au peigne fin – et l’on sait à  quel point il a la dent dure – tout ce qui ressemble de près ou de loin à  un agitateur un peu trop hirsute ou un opposant de sale poil. ((Lorsque les Britanniques déclarèrent l’état d’urgence en 1948 et prirent un certain nombre de mesures permettant l’incarcération préventive sans aucune forme de procès, ils entamaient la lutte armée contre la menace communiste incarnée par le Malayan Communist Party. Douze ans plus tard, soit trois ans après l’indépendance de la Fédération de Malaisie et avoir contraint les communistes à  se réfugier derrière la frontière thaïlandaise, l’état d’urgence fut enfin levé.

Par précaution, une loi devant veiller à  la sécurité intérieure fut étudiée, celle-ci ne devant servir en théorie qu’à  contenir toute résurgence communiste. Ainsi fut adopté en 1960 l’Internal Security Act, dont on peut dire que les vertus sont rafraichissantes tant au niveau des cheveux que de la mémoire.
Ajoutons à  cela que parmi les mesures prises pendant l’état d’urgence de 1948 figure le Sedition Act, qui concerne les propos jugés séditieux, dont RPK fait également l’objet d’accusation.))

Ce n’est plus un secret pour personne, puisque je vends la mèche, c’est grâce au minutieux travail de coiffure que l’on peut dire qu’avec l’ISA on fait l’arrêt ((La raie ?)) au milieu, à  gauche comme à  droite, c’est vous dire si avec ce petit joujou juridique le gouvernement malais sait aller de l’avant. D’ailleurs, non content de couper les cheveux en quatre, il veille en permanente euh en permanence à  s’attaquer au mal par la racine.

Avec tous ces démêlés justiciers ((Outre RPK, une journaliste et une députée ont été arrêtées le même jour que lui. Heureusement pour elles, elles ont connu un sort plus enviable que le sien puisqu’elles ont été relâchées. Si l’on poussait le bouchon un peu trop loin on pourrait dire qu’il s’en est fallu d’un cheveu pour que le gouvernement malais ait ses premières femmes internées au nom de l’ISA.)) issus d’un gouvernement dont la majorité autrefois bien garnie semble aujourd’hui emmêlée ((Les élections générales du 8 mars 2008 étaient qualifiées d’historiques puisque pour la première fois le Barisan National – la coalition au pouvoir depuis la création de la Malaisie, et que l’on peut traduire comme Front National sans qu’il ait quoi que ce soit à  voir avec le parti du même nom que l’on trouve dans l’hexagone – perdait la majorité absolue (de deux tiers de l’assemblée) et ne remportait qu’un peu plus de la moitié des suffrages. L’élection se déroulait sans que le principal chef de l’opposition puisqu’il s’agissait d’élections stratégiquement anticipées dans le seul but d’ôter à  Anwar Ibrahim la possibilité de s’y présenter.

Le leader de l’opposition, feront remarquer ses détracteurs, est à  nouveau poursuivi en justice pour les mêmes motifs qui lui ont valu un long retrait de la vie politique malaise ainsi qu’un séjour derrière les barreaux.

De là  à  dire qu’il est pressé par le temps, il l’avoue lui-même, tandis que le Premier ministre Badawi joue plutôt la montre en ajournant de décembre à  mars prochain les primaires de son parti, l’UMNO. L’actuel chef du gouvernement, sentant son impopularité croissante y compris au sein de ses troupes, déclarait hier au cours d’une réunion spéciale de l’UMNO qu’il déciderait le 9 octobre prochain s’il défendrait ou non son poste de président de parti, ce qui n’est pas spécialement un très bon signe lorsque l’on a malgré tout remporté les élections six mois auparavant.))  dans ses pinceaux pour ne pas dire qu’elle est en des tresses, je ne suis pas étonné de le voir s’abaisser à  vouloir natter l’opposition avec qui il se crêpe le chignon. ((Aurais-je dû dire « à  vouloir mater l’opposition » ?)) Pourtant, malgré de nombreuses tentatives de balayage électoral, la couleur de l’assemblée a résisté jusqu’ici aux opérations de décoloration menées par l’opposition. Les volontés d’extension de cette dernière avait paradoxalement pour but de faire une coupe courte ou claire dans les rangs de la majorité dont certains membres en auraient paraît-il assez de leur couleur naturelle. ((Bien que le Barisan National soit (encore ?) au pouvoir, Anwar Ibrahim prétendait le 16 septembre (date de l’indépendance malaise) avoir reçu assez de soutiens pour faire basculer la majorité de son côté et donc coiffer Badawi au poteau. Autrement dit, il aurait réussi le tour de force de faire passer son groupe parlementaire de 82 élus à  au moins 113 sur un maximum de 222. Si c’est le cas, alors Anwar Ibrahim a dû passer de la pommade à  bien du monde.))

Enfin ce n’est pas pour jaboter, mais malgré ces manifestations excentriques je pense que l’on peut tout à  fait bloguer et garder la tête froide sans se raser les cheveux et manifester tout de même son soutien à  quelqu’un qui n’a malheureusement rien à  faire dans les geôles de Kamunting. Si seulement les autorités malaises pouvaient se rendre compte qu’elles frisent le ridicule, elles éviteraient de se faire passer un savon dans les chroniques d’un pingouin ordinaire.


4 réponses à “Malaise dans la civilisation et tabula rasa”

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