Pendant que les Chinois fêtaient la lune, que le pape faisait la une,
que les musulmans poursuivaient leur ramadan, et que le sataniste fêtait Satan,
monsieur Pingouin s’interrogeait à nouveau sur les tenants et les aboutissants de cette valeur universelle qu’est l’amour.
Voici donc une chronique dans laquelle monsieur Pingouin n’attend pas la saint Valentin pour encore parler d’amour.
J’aime bien badiner de tout y compris de l’amour et de la pesanteur des lois de l’attraction y compris lorsqu’elles ne fonctionnent pas. Un peu d’égocentrisme n’ayant jamais tué personne, je ne vois pas en quoi vous devriez en apprendre plus sur mon auguste personne par le biais d’une sympathique chaîne que par un extrait de mon propre journal intime.
Je me suis toujours dit que l’amour ne saurait se travestir de faux semblants, bien qu’un mystère de la langue française ait décidé de me contredire ; en effet, une fois pluriel l’amour passe pourtant du masculin au féminin. ((Il est d’usage d’évoquer le grand amour au singulier (après tout, n’est-il pas unique ?) et de parler des plus belles amours au pluriel.)) Est-ce parce que la dame oiselle en est le catalyseur, l’essence même ou parce qu’elle est la plus prompte à nous attirer dans ses filets ? Je l’ignore. Dissimulé sous ses désireux atours, l’amour devrait être de toute façon un mot féminin puisque l’oiselle incarne mieux ce sentiment que le mâle de notre société.
Beaucoup cherchent l’oiseau rare, mais je ne suis pas rare, j’appartiens juste à une espèce en voie de disparition, c’est différent. À chercher ce mythe que l’on dénicherait paraît-il dans les magazines et les sites de rencontre en dépit du bon sens, j’avoue naviguer à vue en ces eaux troubles où chacun semble jeter des bouteilles à la mer. D’ici que l’on en vienne à comparer l’amour avec un soda sous prétexte qu’il est pétillant, ne manque pas de sel et est sucré à la fois ((Ou 0% voire light c’est dire s’il est à lécher. )) ne m’étonnerait guère et devrait constituer une image saisissante de l’application de la consommation de masse à nos rituels les plus convoités. ((Ceci dit, je n’ai aucune aversion envers vous, cher lectorat, si vous pratiquez la consommation massive de partenaires consentant(e)s en même temps. Cela ne regarde que vous et vos ami(e)s si vous aimez mettre les bouchées doubles puisque chacun a des notions propres de ce que l’on appelle la mode des rations.))
En ma qualité d’oiseau oiseux, je me demande souvent à quoi bon chanter l’amour quand l’alouette et le rossignol rivalisent déjà dans les domaines cantiques de haut vol. Après tout, je ne suis jamais que l’égal de l’âne pour braire dès lorsqu’il s’agit de m’exprimer. Si je badine avec l’amour, c’est parce qu’il faut que je fasse fi de ses retours de bâton comme l’on se méfie de la roue de la fortune. Pourtant, alors que j’abandonnais tout espoir, une de ses lueurs vint illuminer mon visage, la chance me souriait et moi avec. C’était elle ! Une alcidée nichant près de la grotte de ce jardin public parisien qui sert paraît-il de refuge écologique aux sujets d’un duché spécialisé dans la fine anse, c’est vous dire si c’est un endroit où l’on se laisse naturellement prendre par la main et pourquoi pas par les sentiments.
C’est d’ailleurs là que je me suis fait pincer à en pincer pour elle. D’un regard dans ma direction, on eût dit elle avait mis une pincée de son grain de sel dans ma vie pour mieux l’épicer. Tant de mots fléchés par Cupidon remplissaient soudain les cellules et le gris de mon esprit. Croisant son regard comme l’on croise le fer, les étincelles jaillissaient de mes yeux énamourés et me donnaient l’envie de le lui faire comme on le fait lorsque les mots se croisent d’ordinaire : verticalement et horizontalement, et comble du comble j’étais même peut-être prêt à m’y livrer en diagonale. Je m’emballais et commençais à m’imaginer bien des choses allant même jusqu’à croire que de ce point de croix je pourrais filer le parfait amour avec elle si je parvenais à crocheter la serrure des portes de son paradis.
Hélas de croix il n’était question que du chemin, et encore celui-ci était semé d’embuches, puisqu’il allait falloir en découdre avec les autres. Oui, les autres, parce qu’il s’avéra que je n’étais pas le seul à avoir été aguiché par son regard mais que trois autres oiseaux (de malheur) lui faisaient déjà la cour. Qu’à cela ne tienne, si l’on dit du mauvais bretteur qu’il est ferrailleur, et bien je concède que je suis prêt à m’escrimer à les envoyer se faire voir ailleurs. Expéditif ? Sans doute, car en dépit de ma chétive apparence, je me sentais aussi persuasif qu’un champignon homologué non comestible par Robert Oppenheimer, c’est vous dire si j’étais d’humeur explosive.
Tandis que les trois autres damoiseaux faisaient montre de l’étendue de leurs talents, je m’avançais non pas avec l’indélicatesse d’un cheveu tombant dans la soupe mais avec l’éclaboussure du pied lorsqu’il est mis dans le plat, c’est vous dire si je fis une entrée fracassante : une sorte de hors-d’œuvre dont les autres prétendants sentaient qu’ils allaient faire les frais. Ce n’est pas pour jaboter, mais si le pingouin échaudé ne craint pas l’offrande, c’est parce qu’il croit tant au miracle de la multiplication des pains qu’à celui des soufflets. ((Ou plutôt devrais-je dire des soufflés, ce qui sans verser dans l’outrecuidance ou l’outre-cuisson est de toute façon particulièrement gonflé de ma part. Mon lectorat adepte des trois illustres Inconnus aura reconnu le clin d’œil à Jésus II. Quant à savoir si le pingouin échaudé craint l’eau froide, la réponse est non puisque je ne rechigne même pas à me baigner dans l’eau des manchots, c’est vous dire si je suis du genre à foncer la tête baissée.))
C’est dans ces moments-là que je ne badine pas avec l’amour. Tout devient sérieux, il n’est plus question d’une simple bricole, bien au contraire je fais usage de tous les moyens qui sont en ma possession pour clouer le bec à mon adversaire quitte à me rendre marteau parce que mon but inavoué est tout de même de rouler des pelles dans le bac à sable de la vie de pingouin ordinaire ((N’ayons pas peur de le dire quitte à avoir une dent contre lui, mais après mûre réflexion le râteau n’est peut-être pas l’instrument le plus utile en matière amoureuse même lorsqu’il est question d’entretenir son jardin secret)) . Il fallait donc que je leur cloue le bec pour être le seul à pouvoir me clouer au nid avec elle. Est-ce que j’aurais dû suivre une formation en machine-outils pour la retenir jusqu’au bout de la nuit au moyen d’une sombre machination ? Peu importe car de toute façon je commis une erreur, une faute de déontologie comme la suite des évènements va vous le montrer.
Tandis que j’adressai à chacun de ces braves oiseaux une vanne après l’autre, ce fut bientôt un déluge de mauvaise foi qui s’abattit sur mes concurrents. Ainsi de vanne en vanne, contre vents et marée la joute vocale tourna par bonheur à mon avantage et ce fut bientôt sous un torrent de répartie qu’ils abandonnèrent.
La gente dame oiselle mit rapidement fin à mon triomphe en déclarant : «Ne soyez pas si immodeste, voulez-vous, Alcidé ? De grâce ! Quittez un peu la terre ferme de ces bipèdes et redevenez ailé. Votre laxisme au sujet de nos propres coutumes me fait dire que vous devriez prendre l’air plutôt que la mouche, car ces gentils damoiseaux ne vous ont rien fait de mal et vous n’avez de cesse de leur adresser vos plus sombres regards, que je sens aussi noirs que les idées humaines que vous avez côtoyées.
J’avais entendu parler de vous et de votre étrange affection pour l’espèce la plus criminogène à l’égard de la nature que la Terre a portée, et je n’imaginais pas qu’elle puisse vous avoir fait oublier les principes de bonne conduite. La vôtre est inqualifiable et je ne permettrai pas d’en souffrir davantage.». Ce n’est pas pour feuler mes désirs ((Devrais-je dire ‘refouler’ plutôt que ‘feuler’ ?)) , mais j’étais si mortifié par ses propos que l’on aurait pu faire paraître sur le champ (d’honneur ?) ma nécrologie dans la rubrique des chiens écrasés.
D’un air grave elle ajouta : « Je ne vous félicite point de m’avoir ainsi contrariée et d’avoir ma journée gâchée. Vous êtes devenu trop agressif et trop sérieux. Je dirai même que vous êtes probablement le moins tordant des pingouins que le malheur m’ait contraint de rencontrer en cette contrée. Et n’insistez pas, Alcidé, entre nous cela ne peut fonctionner, c’est mécanique. Alors cessez d’en rouler et allez donc roucouler en d’autres cieux.» ((Je suis effectivement un pingouin torda, ce qui implique que je sois un minimum tordant pour porter cet auguste titre. Visiblement ce n’est pas toujours le cas.))
Elle se tenait maintenant face à moi, attendant impatiemment que je quitte les lieux. Désemparé, j’eus souhaité qu’elle décochât un sourire plutôt qu’un cinglant trait d’esprit, car cette fois-ci j’étais sur le carreau. Plaidant néanmoins pour une réincarnation immédiate auprès des instances concernées par l’au-de-là pingouinier, je repris vie à défaut de reprendre des couleurs ((Je suis un animal monochrome au cas où vous l’ignoreriez.)) .
J’avais eu maille à partir avec cette dame et le canevas de mes pensées était maintenant aussi défait que mon esprit. Il était temps de chercher à filer autre chose que le parfait amour, et sans vouloir me faire couturier il était sans doute temps que je parte tailleur. De retour à mon domicile, pour me consoler je me dis que mon nid n’avait pas été construit en un jour et que chaque chose viendrait en son temps. À bien y réfléchir, l’homme non plus n’a pas nidifié en un jour, mmh… d’ailleurs il n’a jamais nidifié.
Ceci dit, elle avait peut-être raison, je m’étais trop habitué à certaines nouvelles façons de faire. Mais tout de même, elle aurait pu être enjouée de l’intérêt que je lui portais. Avais-je donc été si belliqueux ? Les hommes des casernes ont-ils tant déteint sur moi au point qu’à leur instar je n’y aurais vu que du feu ? ((Que ce soit le feu de l’ennemi, de l’action ou de l’incendie, tout cela concerne les deux sortes d’hommes des casernes que l’homo sapiens connait, fut-il pompier ou militaire.)) Il est vrai que j’aurais dû m’exprimer en vers et contre tous, comme il est d’usage de le faire dans le manuel du parfait pingouin en quête d’amour, plutôt que d’avoir voulu m’imposer par la prose.
Enfin, comme feu mon père Alciné me disait : «Quand l’alcidée fait la moue, il faut lui faire l’humour pour compenser l’absence d’ébats. Et lorsque l’amour est sans retour, il ne faut pas hésiter, sans tiquer il faut s’en aller chercher un ticket ailleurs et s’enticher de quelqu’un d’autre. À quoi bon frauder de toute façon ? L’amour ne se travestit pas, il ne se pare pas de faux sentiments, il n’est tissé que des fibres de notre fragile cœur qui se déchire sitôt que l’on cesse de croire en lui. Ne t’en fais pas mon fils, toi aussi tu trouveras, comme le vaillant El Cid, ta Chimaine avec laquelle tu pourras croire au bonheur.» Évidemment, je me répète que je ferais bien mieux de l’écouter, mais c’est toujours la même chose : toujours plus facile à braire qu’à faire.
6 réponses à “Est-ce que monsieur Pingouin badine avec l’amour ?”
« Beaucoup cherchent l’oiseau rare, mais je ne suis pas rare, j’appartiens juste à une espèce en voie de disparition, c’est différent »
non beaucoup cherchent le Prince Charmant ! 🙂
Même si je ne me sens plus concernée cher alcidé, permettez moi de vous suggérez d’être aussi naturel et charmant que sur votre blog et de vous rappeler que les « dames oiselles » aimeraient surement qu’on leur parle dans une langue originale, celle d’un alcidé, pour peu qu’elles y décèlent de la droiture et de l’humour.
et écouter papa Alciné c’est lui le sage !
Chère Thaïs,
Merci pour les conseils. :=)
Concernant le prince charmant, je sais où il est, il a quitté Cendrillon sur son cheval blanc pour la Belle au bois dormant, c’est dire s’il avait un comportement cavalier. Enfin c’est ce que dit un certain Jean-Louis.
« Chats écrasés », voilà qui est osé !
Chère Catherine,
Mon cher lectorat félidé fidèle,
J’entendais par là que j’étais à l’article de la mort.
Sinon vous avez raison, un pingouin cité dans un canard à la rubrique des chats écrasés, c’est très zoo-osé de ma part.
Cher Alcidé incorrigible. Vous maniez la langue comme le nouveau Guignol manie le bâton: une volée de bois vert. Et oui, l’ami Guignol c’est up-daté, il surfe désormais sur la vague écolo.
Non que je vous traite de guignolo… Loin de moi cette idée.
Oh guignolo ça me va surtout que je suis définitivement incapable d’appeler un chien un chien et que je l’appelle un chat. 🙂