Dépossédé



Si l’impayable Raymond Devos se disait possédé du percepteur ((Dans le sketch du même nom, on y apprend de façon détournée que les percepteurs, à  défaut d’être de drôles d’oiseaux, sont des gens au demeurant – et c’est de mise – très chouettes.)) , monsieur Pingouin lui dirait plutôt qu’il est dépossédé. Oui, monsieur Pingouin est dépossédé par le percepteur, parce que ce dernier n’a que faire de son «Épargnez moi !».

Recevant cette semaine la bonne nouvelle par courrier électronique, j’apprends que je peux renouveler ma confiance envers la direction générale des impôts ((La bonne nouvelle c’est que Jésus était rhésus I-T, la mauvaise, c’est que personne n’était en mesure de lui faire une transfusion au moment des faits.)) . À partir du deux mai prochain, je pourrais à  l’image de sept millions d’autres personnes remplir en ligne ma déclaration de revenus. C’est bien connu, en mai, fais ce qu’il te plaît, choisis entre la version feuille morte et la version électronique.

Ce n’est pas pour jaboter, mais si certaines gestionnaires de budgets familiaux pensent que le régime fiscal a des vertus amincissantes, je m’étonne encore de son absence dans les magazines Marie-Claire ou Femme actuelle et ce à  plus forte déraison que nous sommes au printemps ; oui, le printemps est cette période propice à  laquelle bourgeonnent nombre de conseils irrationnels destinés aux plus femelles des bipèdes, conseils avisés qui les incitent à  retrouver une taille de guêpe. Une aventure qui ne manque pas de piquant à  tel point que certains y vont dare-dare. En attendant que soit tirée une revue titrée Mieux vivre vôtre corps, l’impôt sur le revenu continuera donc à  remplir les pleines pages de revues comme Mieux vivre votre argent ou Capital tout en nous faisant croire que les régimes fiscaux ont pour conséquence de faire fondre nos économies.

Comme beaucoup d’alcidés, je tire mes revenus du fait que je perçois des royalties. Comment cela ? Ce n’est pas pour violer le secret banquise, mais nous autres les pingouins prêtons à  rire. À tel point que nous avons fait de nôtre propre nom, un nom d’emprunt pour les manchots royaux désirant retrouver une certaine respectabilité dans le règne animal que l’Homme domine impitoyablement et sans partage y compris à  l’égard de son homologue, la Femme. Vous pouvez me croire, ces mots ont du crédit, c’est vous dire si j’ai foncièrement raison.

Ces fameuses royalties sont l’œuvre de l’esprit retors de ce lointain ancêtre écossais, Mac Arew, un personnage haut en couleur ((En tout cas par comparaison avec le monochrome pingouin que je suis.)) qui mange désormais les chardons par la racine. Il eut en effet l’étonnante idée de déposer à  la société universelle des droits animaliers les noms de pingouin et penguin. Au nombre de ses grandes inventions, nous lui devons la couveuse qui permit à  la grande famille des alcidés qui mit à  terme la terrible crise de fécondité dite des 1900 vains nœufs, qui faillît être une véritable hécatombe, presque comparable au massacre perpétré contre un autre de mes aïeux, Alca Impennis, le grand pingouin inoffensif ((Alca Impennis dont je me doute bien que les chasseurs ne l’ont traqué que parce que premièrement il était incapable de rendre les coups qui lui furent portés et deuxièmement parce qu’avec un tel nom pour un trophée, il devait aller de soi dans l’imaginaire des créatures qui l’ont occis qu’il devait résoudre les problèmes d’impuissance.)) .

Dans l’attente de recevoir ma déclaration papier, rien ne m’empêche de soupçonner les agents du fisc de vouloir me déposséder. Si je vous dis qu’ils n’ont qu’une envie et que celle-ci est de vouloir de me faire la peau, vous trouverez que j’exagère peut-être. Sans être paranoïaque plus que d’ordinaire, savez-vous ce que c’est de faire l’appeau à  un pingouin ?

C’est appeler à  le plumer, à  le taxer ! C’est une tentative d’assassinat ! Une taxidermie ! Ils veulent me mettre sur la paille !

Je ne suis pas nécessairement d’un naturel méfiant, cependant comment voulez-vous que je ne méfie pas de ces rapaces qui ont l’ambition de me serrer ? Je me sens en proie à  l’observation, scruté, surveillé. Les agents du fisc ont le sens de la minutie, d’abord parce qu’avec eux l’examen est de mise, ensuite parce qu’ils sont capables d’un grand esprit de déduction, c’est vous dire s’ils sont vigilants quant à  la volatilisation des revenus déclarés. Et ils n’auraient pas tort de le faire, puisqu’il existe des individus – des contrevenants devrais-je dire – mieux renseignés que d’autres qui quittent l’hexagone en se jurant de ne pas y retourner de peur d’avoir à  s’acquitter aussitôt du fameux impôt sur le revenu ((Les plus citées de ces personnes dans l’hexagone sont celles qui franchissent les Alpes pour se rendre dans un pays au régime alimentaire réputé riche en chocolat, viande de porc et fromage dépourvu de trous.)) .

En attendant, nous sommes en avril et je ne me découvrirai pas d’un fil, puisque je suis déjà  à  découvert. Le gel de mes avoirs me guette, ce qui met ma définition de l’argent frais en parfaite contradiction avec celle de mon banquier. Il faut dire que j’ai toujours cru qu’il était possible d’obtenir de l’argent frais, sans passer par un distributeur agréé, mais par le billet de mon frigidaire ((Peut-être voulais-je dire par le biais de mon armoire à  glace. Quelque chose me dit que vous avez de toute façon corrigé vous-même.)) . Inutile de vous dire que l’on m’a fraichement accueilli à  la perception des impôts la première fois que j’ai voulu régler mon dû.

Comme on se livre aux forces de l’ordre, c’est ainsi que je me suis livré à  cet exercice imposé : pieds et poings liés, saucissonné comme la rosette fiscale lorsqu’elle n’est pas dans son assiette. Oui, mon cher lectorat, je me suis rendu à  l’hôtel des impôts pour y faire preuve de sacrifice et verser le cens ((Ou plutôt aurais-je dû écrire ‘verser le sang’ bien que cela soit un certain cens du sacrifice, non ?)) .

«Comment comptez-vous payer, monsieur Pingouin ? En espèces ?» me demanda-t-on.

«En singe, si c’est une espèce que vous autorisez.» rétorquai-je aussitôt, pensant qu’en humble saltimbanque j’aurais pu m’en tirer à  si bon compte.

«Trêve de simagrées, elle n’a plus cours, et j’aime autant vous prévenir vôtre note est salée.» me dit-on.

«Si la note est salée, je puis peut-être l’adoucir en réglant en sucre, non ?» tentai-je de bonne foi en me rappelant qu’un Équatorien m’avait autrefois dépanné de quelques billets.

«Allons, monsieur Pingouin, vous n’êtes pas sans savoir qu’il n’a plus cours depuis l’an deux mille.» me répondit-on.

«Cher percepteur, qui avez la vue perçante, n’auriez-vous point aperçu un petit trop perçu en ma défaveur que l’on put me verser ?» tentai-je gentiment.

«Monsieur Pingouin, qui semblez versé dans l’art de la conversation, ne renversez pas la situation, c’est à  vous d’effectuer un versement. Est-ce de ma faute si vous êtes un panier percé ? Je vous presse de régler vôtre impôt sur le revenu.» déversa-t-il de tout son fiel.

«Écoutez, si je suis venu à  vous c’est bel et bien pour me départir de mon dû. J’entends payer, mais j’avoue avoir des difficultés à  saisir toute la complexité de ces rituels qui ne siéent qu’aux humains. Non content de me soumettre à  vos lois de la gravité depuis que j’ai pris un pied-à -terre – ou pour parler vôtre langage – depuis que mon domicile fiscal est établi, mon budget est devenu à  géométrie variable et je ne sais plus s’il faut que je me repère par rapport à  l’or donné.» expliquai-je empli de ma bonne volonté habituelle.

«Difficile à  saisir ? Je suis sûr que vous vous montrerez plus compréhensif à  la vue d’un huissier. Leur niveau de compréhension fera sans doute que vous vous estimerez heureux s’ils vous disent qu’ils n’ont pas tout saisi.» me répondit-on aussi sec qu’une journée d’été ordinaire dans le désert du Sahara.

«Bon. J’admets avoir du retard concernant mon paiement de l’impôt sur le revenu, et suis donc venu payer, pas me faire sermonner. Renseignez moi, dites moi quelle somme exactement je vous dois, et je vous signe un chèque puisque ni le sucre ni le singe n’ont cours chez vous.» déclarai-je pour clore cette entrevue.

«Hé bien, si je puis me permettre : Mieux vaut Plutarque que jamais ! Alcibiade Pingouin, enseignant en philosophie, vous nous devez la somme de …» lut le percepteur plus affable que précédemment.

«Minute ! Je conteste, ce n’est pas moi ! Il y a erreur sur la personne ! Je suis Alcidé Pingouin.» interrompis-je en agitant une pièce d’identité.

«Oh ! Alors cela change tout. Laissez moi examiner vôtre situation.» fit-il en modérant son propos. «Il y a confusion, en effet. Vous n’êtes pas imposable, monsieur Pingouin. Je regrette ; vous n’avez pas assez de revenus. Vous pouvez vous en aller, nous allons traiter ce problème avec le bon interlocuteur et nous excusons du dérangement.» dit-il sans plus chercher à  s’imposer.

Ainsi, j’ai pu me soustraire à  cet agent, qui a dû se dire que j’avais grandement contribué au gaspillage de son temps (et donc celui de la nation toute entière) … et du mien par la même occasion si je ne l’avais rentabilisé par la rédaction de cette chronique. Au final, je ne m’en tire pas à  si mauvais compte et pourrais même prétendre en quelque sorte être un évadé fiscal si à  la différence de certains il ne me viendrait pas à  l’esprit de considérer l’hexagone comme une prison. En effet, j’ai beau être un pingouin insensé, je me demande comment ces personnes font pour vouloir être aussi dépossédées de bon cens.


7 réponses à “Dépossédé”

  1. Vérification faite, non, tu as raison c’est bien « qui ne siéent » et non qui ne « seyent ».

    Errare Criticum est. Variante : errare romanum est.

    😉

  2. Cher Criticus,
    Tant que nous sommes dans les prémices de la déclaration, je suis sûr qu’au cahier des charges l’on pourrait dire aussi : «Qui ? Sieyès ?»
    Sieyès, dont le serment du jus de pomme n’était qu’une mise en bouche de la célèbre déclaration des droits de la pomme et du cidre hawaïen. 😉

  3. Cidre fait à  base de pommes hawaïennes avec un seuil maximal d’un tiers, établi sur la demande d’un autre abbé, celui de Cadix. (un protectionnisme étroit vis-à -vis de son homologue franco-hawaïen, certes).

  4. Chère Fanette,
    Tout dépendra de ma motivation à  remplir la déclaration en temps et en heure.

    Si les délais n’ont pas changé, on gagne entre une dizaine de jours et presque un mois (selon la région habitée) à  le faire en ligne.

    Enfin, concernant les 20€, l’offre n’est valable que pour la première télé-déclaration, non ?

    Ceci dit, dans les deux cas je reste non-imposable.

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