Suharto, Acte I


En dehors de sa famille et de ses proches, à  qui peut bien manquer ce bipède qui s’est élevé orang militer putschiste ? Ce n’est pas pour jaboter mais je doute qu’il manque à  ses détracteurs, aux Timorais les moins craintifs, à  certains Papous ou aux Acehnais. ((Que penser d’ailleurs puisque même Amien Rais de la Muhammadiyah lui pardonne, ou que son propre parti – le Golkar – demande l’abandon des charges retenues, et que certains dirigeants prennent sa défense ? Je ne vais pas dire que l’on n’a pas le droit de lui pardonner, le président du Timor oriental le fait bien sans oublier les faits commis, mais à  ce train là , je vais proposer à  certains anciens dirigeants de demander l’asile politique en Indonésie.))

Certes, le général Suharto est un véritable homme de la junte, mais tout de même plus distingué à  l’encontre de ses prestigieux prédécesseurs que n’a pu l’être le père spirituel d’un certain Than Shwe. Ce n’est pas parce que l’état de cet homme est critique que l’on ne pourra pas l’être vis à  vis de son bilan lorsque l’on parlera de lui au passé.

Premier de cordée et souvent décoré, Suharto le pionnier du dirigisme militaire indonésien mit à  la retraite spirituelle le guide Soekarno ((Le président désigné à  l’indépendance de l’Indonésie trouvant que la démocratie s’égarait, se permit en 1963 de la remettre sur le droit chemin et de lui trouver un guide : à  savoir sa propre personne. C’est ce que l’on a appelé la Démocratie dirigée.)) en 1967 . Comment en est-il arrivé là  ?

Le point de départ de cette escalade vers le pouvoir commença aux aurores du premier jour d’octobre 1965 où une obscure conjuration communiste rayonna sur le pays avec la volonté de livrer quelques chefs d’état-major en pâture aux crocodiles ((C’est une image puisque les militaires kidnappés et exécutés furent jetés dans un puits de Lubang Buaya – littéralement le trou du crocodile – en banlieue de Jakarta.)) . Abdul Haris Nasution, seul rescapé parmi les autres chefs d’état-major des armées ciblés, rejoignit le ministère de la Défense et entra en contact avec un certain major-colonel au patronyme peu matinal qui avait pris l’initiative de prendre le commandement des forces armées. ((Suharto, était donc bien matinal ce jour-là  puisqu’il fut alerté de la disparition de membres de l’état-major avant que les putschistes n’en fassent l’annonce par les ondes radio vers sept heures du matin.))

Si la situation des gradés avait de quoi inquiéter, Suharto fit en sorte de la restaurer et mit tout en œuvre pour délivrer le président Soekarno que les amateurs de coup d’état avaient placé sous leur protection et déplacé à  Bogor où se trouve le second palais présidentiel. Baptisant ce putsch avorté du très étonnant ((Vous verrez qu’il y a de quoi se demander par la suite où Suharto trouvait son inspiration.)) acronyme Gestapu ((Gestapu pour Gerakan September Tiga Puluh, à  savoir le mouvement du 30 septembre, sachant que l’on trouve aussi Gestok pour Gerakan Satu Oktober, le mouvement du premier octobre. À l’attention des numérologues avertis, le premier octobre est aussi le jour qui célèbre la fête nationale en République Populaire de Chine, de là  à  tirer des coïncidences alarmantes, il n’y a qu’un pas que vous ne devez point franchir.)) , le major-général reçut l’aval de son supérieur Nasution pour traquer les putschistes.

Après des mois de tension et de manifestations anti et pro-communistes et d’instabilité gouvernementale, Soekarno signe en mars 1966 le décret supersemar ((Supersemar non pas pour le cousin de Super Man mais pour Surat Perintah Sebelas Maret, l’ordonnance du onze mars. Ce décret octroie à  Suharto le pouvoir de faire tout ce qui est nécessaire pour rétablir l’ordre.)) précédant d’un jour l’interdiction du PKI ((PKI pour Partai Komunis Indonesia.)) qui entraîna la chute de ce dernier, puis l’arrestation et l’exécution de plusieurs milliers d’activistes subversifs. ((Plus généralement l’on parle d’un minimum admis de deux cent mille personnes et en moyenne de cinq cent mille personnes, même si certains n’hésiteront pas à  faire monter les enchères. Bien que le PKI chiffrait aux alentours de trois millions d’adhérents, faisant de lui la troisième force politique du pays et le troisième parti communiste au monde, la répression de Suharto toucha essentiellement des personnes d’origine chinoise. En effet, la République Populaire de Chine figurait au rang des accusés à  l’initiative du coup d’état.

Il s’en est suivi une remarquable stigmatisation de la communauté chinoise si bien que diverses mesures furent adoptées comme : l’interdiction de l’affichage des caractères chinois dans les domaines scolaire et public, l’obligation de prendre un nom indonésien, ou encore l’interdiction de la pratique du taoïsme.

Si la répression anti-communiste s’est trouvée légitimée par la tentative de coup d’état et le meurtre de six généraux le 1er octobre 1965, il faut bien avouer que les dirigeants indonésiens veillaient déjà  en 1959 à  empêcher les citoyens d’origine chinoise d’exercer leurs activités commerciales en toute quiétude. Il faudra attendre la présidence d’Abdurrahman Wahid en 1999 pour que ces mesures discriminatoires soient levées. Ceci étant, rien ne vous interdit de faire un parallèle entre les pribumis indonésiens et les bumi putras malais ou mieux encore de vous dire qu’en 1959 les dirigeants chinois veillaient à  empêcher les citoyens du Tibet d’exercer leurs activités spirituelles en toute quiétude.)) Recevant le pouvoir suprême des mains de son prédécesseur, Suharto allait pouvoir poursuivre son ascension dans l’escalade des slogans aux noms controversés, puisqu’après nous avoir bassinés avec le Gestapu, l’heure était venue pour l’Ordre Nouveau ((Orde Baru en réalité par opposition à  l’Orde Lama – l’ordre ancien – afin d’affirmer que l’Indonésie allait entrer dans la modernité. Cette appellation inspira largement la Bagong Lipunan – Nouvelle Société – du pas encore despote philippin Ferdinand Marcos.)) , que vous retrouverez dans une prochaine chronique.


2 réponses à “Suharto, Acte I”

  1. Toujours aussi intéressant, et toujours aussi difficile à  suivre pour un petit jeune si peu instruit des troubles politiques asiatiques que moi.

    Mais d’où vous vient cette culture, Monsieur Pingouin ?

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