Le salaire de la peur



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(Attention ! Cette vignette est un indice pour découvrir de quoi traitera vraiment cette chronique dans trois paragraphes.)

«Oh non ! Pas un énième billet sur le salaire du Président de la république française ! T’as un métro de retard, monsieur Pingouin ! Va voir là -bas si j’y suis.» proteste déjà  mon lectorat non-hexagonal. J’avoue sans vergogne que je livrerai quand même mon avis sur la question. Pire encore, je n’ai aucune honte à  vous dire que les éventuel(le)s cinéphiles vont être déçu(e)s, puisqu’il ne sera pas question ici de Georges Clouzot ou d’Yves Montand. Alors là  j’espère bien que tout le monde croit que je me fiche de lui au moins à  hauteur de cent-quarante pour cent cent soixante-douze pour cent ((Edit du 6 novembre 2007. )) .

Il y a eu de l’agitation autour de cette augmentation, il ne faut pas en douter. C’est drôle, mais dans le fond le salaire n’est jamais que mis au même niveau que celui du Premier ministre, qui n’est jamais que ce même poste qu’un certain Jack Lang proposait de supprimer ((Pour vous remémorer : vous pouvez consulter cet article de Libération )) . Je suis sûr qu’aujourd’hui il y en a qui regrettent que cette proposition n’ait pas été retenue, parce que cela les aurait sans doute amusé d’aligner le traitement présidentiel sur le néant. Ce n’est un secret pour personne si je vous dis que le malheur des Huns fait le bonheur des autres ((Notamment le malheur d’Attila qui, en perdant son cheval, a fait le bonheur de milliers de brins de gazon et de petites fleurs qui n’attendaient que ce départ précipité pour se remettre à  pousser en toute quiétude. )) .

Tout ça pour vous faire entendre qu’au fond le pingouin se moque de l’argent des autres, parce que ce n’est pas la cupidité ou l’avarice qui risquent de lui faire de belles jambes d’autant qu’il a des pattes. À vrai dire, il n’y a qu’un seul salaire à  mes yeux, et je vais vous en conter l’histoire. Tout commence là -bas dans ce pays que l’on associe définitivement à  cette sorcière de reine de Sabbat. Voilà  de quoi vous coller six fois la trouille pour cette semaine de Halloween.

Ce n’est pas pour jaboter mais l’homme dont il est question aujourd’hui n’a rien d’un enfant de chœur et est sans aucun doute un des plus aguerris au monde à  la fonction de dirigeant. Il n’a laissé aucun traitement de faveur à  ses opposants, et lorsqu’il passe à  l’action il mouille le chèche à  plus de cent-quarante à  l’heure bien évidemment.

Vous l’aurez donc reconnu, c’est : le maréchal Ali Abdullah Saleh que j’appelle volontiers le Saleh de la peur.

Saleh de rien comme ça, mais ceci est une chronique yéménite sans vraiment en être une ((Si vous cherchez les originales, libre à  vous de consulter les véritables chroniques yéménites. )) puisqu’elle est dédiée à  la mémoire d’un des plus solides candidats au concours Agrippine dans la catégorie masculine.

En effet, si officiellement il ne dirige le Yémen que depuis 1990, il n’en dirigeait pas moins la moitié nord du pays depuis juillet 1978. Hé oui, souvenez-vous il y avait alors deux Yémen, de même qu’il y avait deux Allemagne et qu’il y a toujours deux France ((Celle d’en bas et celle d’en haut, qui semblent avoir disparu du discours des politiques ces temps-ci. )) .

Alors presque trente ans d’activité au sommet du pouvoir, ce n’est pas rien et cela vous rend éligible au trophée Agrippine décerné aux dirigeants encore en activité qui s’accrochent férocement au pouvoir ((Elizabeth II est hors concours, mais si elle était véritablement un chef d’État, je lui remettrai bien volontiers en terrain neutre ce prix, sous les commentaires de Stéphane à  Berne. )) . Il y a peu, seul Fidel Castro semblait pouvoir ravir la première place à  tout le monde. Mais depuis qu’il fait face à  des problèmes de santé, son frère Raul a pris l’intérim et a donc rouvert la compétition.

Les participants au concours sont peu nombreux. Bien entendu, il reste toujours le gabonais Omar Bongo qui fêtera à  la fin du mois ses quarante ans de règne. On retrouve aussi Khalifa bin Salman al-Khalifa l’indétrônable Premier ministre des mille rats du Bas règne, le sultan Hassanal Bolkiah de Brunette ((Le sultan de Brunei qui fêtait ses quarante ans de règne le cinq octobre dernier, mais qui n’a vraiment commencé son règne omnipotent en 1984 lorsque le sultanat cessa d’être un protectorat de la couronne britannique. )) , sans oublier le célèbre geôlier d’infirmières j’ai nommé Mouammar Kadhafi, ainsi que l’éternel sultan Qabous ibn Said qui sévit au Mans. Sans me prendre pour un sultan, lequel parmi ces sélectionnés mériterait, au nom de ses compétences en zérologie ((Pour celles et ceux qui ignoreraient en quoi consiste cette discipline, consultez le lexicon con-con. )) , d’être califié du titre de petit s’agrippant ?

Je sais bien qu’Ali Saleh possède un certain talent caché de garçon coiffeur parce qu’il fait dresser les cheveux de la tête à  plus d’un journaliste ((Vous verrez que l’affaire ne date pas d’hier. )) ou opposant politique, mais je concède qu’il ne peut pas être aussi zérologue que Than Shwé. Même si en 1990 il a fait le pari difficile de soutenir Saddam Hussein lors de la visite de courtoisie de ce dernier au pays de l’extravagance capillaire répondant au doux nom de Couette, mal lui en a pris puisque l’histoire lui a montré qu’il aurait mieux fait d’être de mèche avec quelqu’un d’autre.

Évidemment, c’était une idée dont il aurait été bien inspiré de faire l’économie ((Alors membre du conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, le Yémen s’abstint de voter certaines résolutions contre l’Irak, et alla même jusqu’à  voter contre l’emploi de la force. Aussitôt, les pays occidentaux et les pays du golfe réagirent en diminuant ou en supprimant leurs programmes d’aide et leurs contacts diplomatiques. Ceci eut aussi pour conséquence de forcer le retour des huit cent cinquante mille travailleurs expatriés yéménites – soit cinq pour cent de la population yéménite à  l’époque – en Arabie Saoudite et dans le reste du Golfe. )) . Mais que dire sinon que ce cher président-là  n’a jamais reculé devant la besogne, il était déjà  adepte du travailler plus pour gagner plus, et vous allez comprendre pourquoi. D’où croyez-vous que vienne l’expression «Tout travail mérite Saleh» ?

Autre boulette à  son actif, et pas des moindres : la culture du qat. Cet hallucinogène très prisé ((Un rapport de la banque mondiale, de juin dernier, affirmait que sept hommes sur dix qatent, contre une femme sur trois. Un tiers des utilisateurs qatent pendant deux à  quatre heures par jour, un autre tiers pendant quatre à  six heures par jour, et un cinquième passe plus de six heures par jour à  qater. )) ne pousse qu’au dessus des sept cent mètres d’altitude c’est dire s’il fait planer. Il consomme tellement d’eau que les plus mauvaises langues annonçaient que le pays serait à  cours d’or bleu d’ici 2010-2012. Notre épouvantail de service, loin de bailler aux corneilles, a fini par prendre les choses en main lorsqu’il annonça qu’il renonçait à  qater (( Dixit la note de bas de page du sénat : «Pour se mettre au sport et à  l’informatique» )) et incitait ses compatriotes à  en faire de même. D’ici que le président se fasse poète, nul doute que l’on continuera d’écrire au sujet de cette tragédie comme du qat à  strophes.

Enfin, bien qu’il puisse affirmer présider la seule démocratie de la péninsule arabique, qui se distingue aussi par son droit de vote des femmes et a priori la seule femme ministre de la région, Ali Abdullah Saleh dispose, pour postuler au lauréat du concours Agrippine, de l’argument habituel pour appuyer sa nomination : la transition du pouvoir à  son fils aîné.

Hé oui, alors qu’il avait annoncé à  toutes et à  tous qu’il ne serait pas candidat, et qu’il avait modifié la constitution pour abaisser l’âge de candidature ((et donc permettre à  Saleh junior de se présenter. )) , notre grand ami a changé d’avis et s’est fait réélire l’an passé pour sept ans.

Mais vous verrez un jour, des petits enfants chanteront en sortant d’un placard à  balais : «Saleh, Saleh, prends garde à  ton derrière !» et ils danseront comme des petits diables.


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