Des mots-craties.



Depuis que j’habite en France, je constate que mes bipèdes préférés aiment faire de la politique avec de belles paroles. Ce n’est pas pour jaboter mais parfois certains de leurs mots sont un peu trop gros pour passer dans les conduits auditifs sans heurter la sensibilité des personnes de bonnes mœurs, comme les enfants et les petits pingouins. En effet, il faut éviter de prononcer des grossièretés car elles ne peuvent que blesser l’ouïe des personnes de petites tailles.

Ceci dit, j’ai un aveu à  vous faire mes chers amis. Puisqu’il existe une raison pour tout ou presque, il faut que vous sachiez que ce n’est pas pour rien que je jabote : il y a une raison particulière. En effet, je jabote non pas seulement parce que c’est le cri du pingouin, je jabote parce que vous m’avez appris que les paroles s’envolent et que les cris restent ((Notez que cette affirmation est valable dans le sens inverse : quand le pingouin s’envole les humains restent au sol.)) . Alors je vous imite : je crie à  l’envi, et seulement lorsque cela me chante je me tais.

J’ai bien retenu depuis le temps que je vis ici, que les mots-craties laissent les voix du peuple s’exprimer lors des rendez-vous électoraux dans un concert, où chacun est libre de jouer la partition qu’il veut ou même de se taire. Pourtant malgré cela, il paraît que l’on vous joue toujours la même chanson d’une élection à  une autre. Hé bien j’en dis que vous verrez bien si dans cinq ans la partition d’ouverture du président actuel vous aura enchantés, ou si au contraire vous la qualifierez d’avoir été un énième air de pipeau. J’imagine que c’est là  que réside la différence entre les mots-craties et leurs homophones moquecraties, qui ont l’habitude de se payer votre tête.

A propos de tête, je ne sais pas comment vous avez accueilli les derniers propos de Fadela Amara, mais elle devait vraiment en avoir ras le bol pour qualifier de dix gueules lasses les têtes ADN ((et la façon dont certains jouent de l’immigration comme d’un instrument pour en finir avec la citation.)). Pour ma part, j’avoue que la franchise de son langage ne m’a pas plus choqué que d’autres mots qu’elle a pu employer dernièrement ((Entre autres la glandouille et à  donf. Alors que par une belle nuit de septembre dernier, ce qui m’avait le plus choqué c’était cette décision nauséeuse de revoir les délais – ensuite rétablis à  leur niveau initial par le sénat – accordés aux étrangers pour déposer un recours.)) . C’est vrai que je comprends mieux le choc, sinon l’effroi, qu’a suscité le mot guerre lorsqu’il est sorti de la bouche de ce va-t-en-paix de Bernard Kouchner. Cela a dû en surprendre plus d’un que ce French doctor puisse être aussi ferme vis à  vis de l’Iran. Alors que la secrétaire d’État chargée de la politique de la ville, l’on dirait que cela en gêne certains qu’elle puisse exprimer son désaccord avec le gouvernement actuel. Ce n’est pas très mot-cratique ça, non ?

Ne dramatisons pas, il y a quand même un écart avec le Myanmar car la France n’est pas adepte de l’hémoglobinocratie birmane, où c’est celui qui fait couler le plus de sang qui gouverne. D’ailleurs, je suis certain que la leucémie du pauvre Soe Win était due au fait qu’il avait fini par se faire du mauvais sang pour les victimes du massacre de Depayin en 2003. Cette forme de gouvernance n’étant pas viable, il faudrait penser à  prévenir Than Shwé avant qu’il n’y succombe à  son tour, parce qu’après la répression des manifestations de septembre son état de santé risque d’en pâtir.

Remarquez, le mettre en garde, ce n’est peut-être pas assez, il vaudrait mieux le surveiller de plus près : une garde à  vue ce serait plus judicieux vu la tendance maladive que cet homme connaît dès qu’il est question d’étouffer des révoltes. Parce que s’il est vrai que « celui qui ne dit mot consent« , vous n’en aurez pas moins de mal à  me faire croire que tous ces Birmans qui restent chez eux ne sont pas en désaccord avec la brillante politique des hommes de la junte.

D’ailleurs dans mon étude comportementale sur l’Homme, j’ai relevé d’autres exceptions à  la liberté de parole dans le monde des mots-craties. A l’image des poules, je ne serai pas du genre à  avoir une dent contre ces gens dont je vais dire un peu de mal. Oui, mesdemoiselles, mesdames et messieurs, il faut l’avouer : mes diverses expériences m’ont amené à  penser qu’en politique les dentistes s’avèrent être des adversaires de taille. En effet, lorsqu’un chirurgien-dentiste-stomatologue mot-sculpte c’est qu’il ne va pas tarder à  m’ôter les maux de la bouche ((Euh je voulais dire du bec. Voilà  ce qui arrive lorsque l’on s’humanise de trop.)) . Je suis même persuadé que ce sont eux qui ont donné aux hommes politiques la langue de bois, et peut-être même une certaine passion pour les frais de bouche ((Voire même du mensonge, car ne dit-on pas « mentir comme un arracheur de dents ? »)) . Qui sait ? Il paraît que l’on y prend goût.

Sinon, que feriez-vous si l’on avait une dent contre vous ou contre la mot-cratie ? Si vous étiez un homme politique j’ose imaginer que depuis votre cabinet vous feriez appel à  un spécialiste du genre, car pour guérir ce genre de maux je ne suis pas sûr qu’un simple dictionnaire fasse l’affaire. C’est pour cela qu’il ne faut pas négliger de rendre visite à  son dentiste, car la carie bout d’impatience, et sans élan il lui presse de prendre les rênes du pouvoir de notre flore buccale en se répandant impure dans nos sillons, où elle instaurera un régime fantoche et fera de la douleur la seule loi à  observer.

C’est pour cela mes chers bipèdes que je compte sur vous pour garder votre système en bonne santé en mettant les mains à  la pâte ((La pâte dentifrice bien sûr !)) . Je vous laisse donc le mot de la fin sur le bout de la langue, car de cette chronique vous avez absolument le droit de vous brosser.


2 réponses à “Des mots-craties.”

  1. coucou, article très intéressant 🙂 je me demandais ce que tu voulais indiquer dans cette précision : alors que par une belle nuit de septembre dernier … A+

  2. Cher mister Bark,
    Merci.

    La belle nuit de septembre était juste une précision à  la fois météorologique et chronologique qui tranchait avec la décision alors prise à  l’égard des étrangers.

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