Précédemment je manifestais ma joie de voir que la Birmanie faisait enfin parler d’elle, car la dernière grande nouvelle à propos de ce pays concernait le tsunami de 2004. Hier, j’ai été ravi d’apprendre que les dirigeants birmans, adeptes de l’isolationnisme, accepteraient enfin de cesser (un peu) de faire la sourde oreille.
Après un épisode dédié aux préférences astrologiques et culinaires des hommes de Nay pyi taw, l’humble pingouin que je suis, poursuit sa chronique birmane. A ce propos, si je vous ai décrit les mœurs gastronomiques des dirigeants birmans, c’est parce que je me sens particulièrement concerné par le sort fait aux œufs. Cela ne saute pas forcément aux yeux des chers bipèdes que vous êtes, mais le petit ovipare que je suis, n’est, jusqu’à preuve du contraire, certainement pas né dans un chou.
Si je vous ai en revanche épargné les réjouissances nuptiales de la fille de Than Shwé, c’est parce qu’à vrai dire je pense que vous avez mieux à faire que d’assister aux noces de la fille d’un tyran, et que de surcroît ce n’est même pas commenté par Stéphane Bern. Par contre l’absence de toute mention à l’égard de la présence de Total en Birmanie est volontaire.
En effet, j’ai tout simplement voulu m’éviter de titrer quelque chose comme : « La pire manie, c’est le Total-itarisme ». Parce que s’il fallait dénoncer tous ceux qui ont participé à l’exploitation du complexe gazier de Yadana, il faudrait citer aussi Chevron ((La compagnie américaine alors appelée Unocal était poursuivie en 1996 par 14 Birmans affirmant avoir été forcés par l’armée birmane à travailler pour le pétrolier. Huit ans plus tard, en 2004, la compagnie a préféré leur verser des fonds plutôt que de poursuivre le procès. Total qui reste sujet au même genre d’accusation maintient l’effet de son rôle positif dans le pays.)) , la thaïlandaise PTT ((PTT ou PTTEPI pour Petroleum authority of Thailand Exploration and Production Public company Limited qui se dit légalement obligée de poursuivre ses investissement en Birmanie.)), ou toutes les compagnies étrangères qui travaillent dans ce pays.
Pour donner dans le comique de situation, j’aurais mieux fait alors de citer la visite du ministre du pétrole de la plus grande démocratie au monde, Murli Deora, à son homologue birman, pendant les manifestations de septembre dernier ((Voir ce communiqué.)) afin de promouvoir les intérêts de la compagnie nationale ONGC ((Oil and Natural Gas Corporation.)) sur le projet d’exploitation du gaz de Shwé ((Dans le nord du golfe du Bengale.)) en collaboration avec le coréen Daewoo et les mêmes Thaïs de la PTT.
Enfin, ce ne sont pas mes affaires, ce sont les leurs bien entendu, et libre à eux de les mener à bien. Moi, je ne suis qu’un vulgaire alcidé, donc je ne devrais pas me livrer à l’ingérence dans les affaires humaines. Et qui serai-je pour parler du pétrole qui, lui, n’a jamais rien demandé, et que l’on exploite dans le seul but de le raffiner et de le servir sous forme de carburant ou d’électricité ?
Le pétrole ne s’est jamais demandé s’il valait mieux se trouver en Birmanie ou en Hongrie. Entre nous, est-ce vraiment de la discrimination capillaire s’il y a du pétrole chez les Rousses ou dans le sultanat de Brunette et absolument rien à Blond dans le Limousin ? C’est toute l’injustice de la chose. Le gaz de chauffage de la plupart des pays européens est essentiellement russe, pourtant l’hiver l’on est bien aise de se chauffer avec pendant que les dirigeants Russes se livrent à leurs affaires internes.
Donc trêve de pétrole, reprenons le fil de cette chronique birmane. Si Tarzan, l’homme de la jungle, a son cri qui lui est propre, il faut se rendre compte que Than Swhé, si avare en paroles et en déclarations, est lui plutôt du genre homme de la junte, dont la spécificité est de faire taire les autres. Avec un montant de plus de deux mille arrestations et autant de personnes muselées, l’on se prend à chérir les libertés de ce que certains appellent l’Occident et à se demander s’il ne faudrait pas importer en France l’auto-proclamé président birman afin de faire respecter les prochaines lois sur les chiens méchants.
Cela ne surprendra aucun d’entre vous de savoir que Shwé en birman se dit or en français, car tout est lié dans le pays de la zérologie appliquée, y compris des proverbes comme « la parole est d’argent et le silence est d’or« . Enfin, le jour où les Birmans rouleront sur l’or, sera peut-être le même jour où l’on verra leur despote renversé. Sans rire, il y a des jours où j’aimerais bien proposer la politique d’ouverture du président français dans ce régime de fermeté.
Au Myanmar, lorsque l’on pratique l’ouverture en nommant des civils au gouvernement, les généraux qui n’ont pas eu la chance d’être nommés s’amusent à dire à la façon de Patrick Devedjian que l’ouverture pourrait bien s’étendre jusqu’aux militaires ((Trois civils sur vingt-deux ministres en 1992, quatre civils sur trente-sept ministres en 1995, trois civils sur quarante-quatre ministre en 1997, quatre civils sur quarante-quatre ministres en 2002, et quatre civils sur trente-quatre ministres en 2003.)) . Comme quoi, vous le voyez, l’homme de la junte n’est pas nécessairement dépourvu d’humour, comme en témoignait une de mes connaissances, U Lul, un garçon très chouette qui m’expliquait ironiquement que dans l’armée, les officiers affirmaient posséder un cœur en or tout simplement parce qu’ils sont généreux en chef et qu’ils ont livré leur corps à la nation.
Ben voyons, ce n’est pas pour jaboter, mais si la junte est aussi chaleureuse qu’elle le dit, les derniers évènements ont su nous montrer de quel bois elle se chauffe. Certaines coutumes hospitalières doivent m’échapper, cela ne m’empêche pas de trouver curieux que l’on ouvre le feu pour mieux refroidir autrui. Toutefois j’imagine qu’un zérologue avisé me fera comprendre que cette pratique sert à chasser les mauvais esprits qui troublent l’ordre et la stabilité du pays. J’imagine que Kenji Nagai a dû apprécier la subtilité de la chose.
Enfin, il faut avouer que la junte a cela d’égalitaire qu’elle semble appliquer aux journalistes étrangers le même traitement que celui qui est d’ordinaire réservé aux manifestants nationaux et aux minorités ethniques. C’est sans doute là un héritage de la burmese way to socialism du vieux Ne Win, toutefois depuis 1988 les règles du jeu sont quelque peu différentes. Sous les yeux de la communauté internationale, le gouvernement birman se rend compte qu’il est observé à son tour et cela le surprend un peu. Je laisse le mot de la fin à ce moine stupéfait qui disait : « Nom d’une stûpa ! Tel est pris qui croyait pendre. »