La poker mania



Ce n’est plus une rumeur dans l’hexagone, on murmure que des joueurs, aussi normaux que monsieur et madame Tout-le-monde que je salue au passage, s’adonnent à  une pratique ludique plus étrange encore que l’ouverture politique.

Diffusées à  la télé sur des chaînes câblées, racontées dans des magazines spécialisés, les parties de poker s’invitent aujourd’hui jusque dans nos demeures. Et quel hold up ce texas hold’em ! Car il vole la vedette à  nos jeux de cartes habituels que sont le nain jaune, la belote et le tarot !

Fini d’emmener le petit au bout de nos peines, terminé aussi de vider le tableau en faisant le grand opéra, exit aussi cette tradition révolutionnaire qui veut nous faire couper les têtes couronnées avec des atouts. Car avec le poker, il faut revenir aux principes qui avaient cours au temps de la monarchie où la hiérarchie aristocratique était respectée.

En effet, ce n’est pas pour rien que sur l’autel de la victoire, la main la plus haute est une suite : la quinte flush royale ; de plus c’est bel et bien l’AS, l’altesse sérénissime, et non pas l’AS Saint-Étienne, qui domine car c’est un jeu auquel il faut jouer avec sa tête plutôt qu’avec ses pieds.

Pourtant rassurez-vous ça n’est pas aussi compliqué que cela en a l’air, tout ce qu’il faut savoir du poker, c’est qu’il s’inspire du mariage. Du mariage en bonne société, bien sûr.

A l’usage de ceux qui ne seraient pas dans la confidence, sachez qu’il vaut mieux se marier avec ses pairs plutôt qu’être mal assorti. Vous ne serez pas mécontents d’apprendre qu’un mariage réussi donnera du cachet à  votre suite, et ça sans compter sur le fait qu’un heureux évènement se solde souvent par la mise au monde d’heureux jetons. Vous vous souviendrez aussi que pour former une couleur, il est nécessaire que toutes les cartes soient unies. Enfin, si vous ne parvenez pas à  établir un mariage convenable ou de raison, il vous faudra vous rétracter puisque la haute société proscrit le divorce, et vous n’aurez plus qu’à  vous consoler en vous répétant que ce n’est que partie remise.

C’est ainsi, au gré de quelques noces et de tirages favorables, que les joueurs se disputent les mises qu’ils ont déposées pour appâter le poisson. Comme vous le savez, ce jeu est péché car vous l’aviez déjà  deviné, le poker est un jeu d’argent ; par exemple lorsque l’on veut passer la parole, il faut faire un chèque ((Il s’agit d’un check en réalité, de « to check » pour vérifier ou contrôler. Et malgré ce que j’en dis, cela ne coûte rien.)) .

C’est dire à  quel point c’est onéreux, et ce n’est pas pour rien que poker rime avec prêt bancaire, hypothécaire et situation précaire qui sont les trois stades de décrépitude auxquels le joueur invétéré est confronté au long de sa vie. Et puisque c’est un jeu qui rend dépendant, rien d’anormal non plus à  ce que poker rime aussi avec urticaire, parce que c’est le genre de chose qui démange même entre les repas.

Je suis sûr que parmi vous, certains rêvent de devenir des joueurs professionnels. Mais à  quel prix ? Avant de vous jeter à  l’eau, réfléchissez bien à  ce que vous faites. Je me permets de vous mettre en garde.

Pour tout vous confier mes chers amis, je connais quelques spécialistes en la matière. L’un d’entre eux s’adonne à  ce loisir remarquablement bien, avec sans doute assez de talent pour se hisser un jour à  un niveau des plus élevés. Il ne possède pourtant aucun truc, pas même un Rain Man pour compter les cartes comme au black jack, mais seulement du bon sens qu’il emploie de son mieux pour remporter la victoire.

Car le poker ce n’est pas seulement une question de chance au tirage, c’est aussi un jeu dont l’astuce réside dans la capacité à  bluffer ((Et non pas tromper, qui est le propre de l’éléphant comme de l’adultère.)) l’adversaire. D’ailleurs mon ami, dont il est question ici, est d’origine helvète. A ce propos, je préfère vous l’apprendre pour que vous fassiez bon usage des conseils qui vont suivre tout au long de ces péripéties : les Suisses, et c’est capital de le dire, ne sont pas du genre à  se laisser berner. Sans compter qu’ils savent faire contre mauvaise fortune, bunker ; on dit alors que ce sont des rocs ((Au poker, on dit d’un roc qu’il s’agit d’un joueur très prudent qui ne mise ou relance que lorsque sa main est très forte, alors qu’aux échecs le roque c’est lorsque quelqu’un joue des tours avec son roi, d’où une raison de plus de se méfier de lui, qu’il soit grand ou petit.)) . Et quand leurs concurrents sont de blinde ((En réalité, il s’agit de « blind » pour aveugle, qui sont des mises obligatoires pour intéresser la partie.)) , il leur faut développer des talents d’ingénierie nucléaire pour cerner et percer les mystères suisses, ou bien alors faire tomber les oeillères en acceptant de payer pour voir la main adverse, auquel cas il n’est pas rare qu’ils leur adressent un : « Combien vaudois-je ? ».

Une fois le pot payé, le joueur retourne ses cartes sur le tapis, et dévoile la combinaison gagnante : point de quinte flush, ni de carré d’as, et caetera mais bel et bien une simple paire de huit. Pourtant cela n’empêche pas notre ami de faire main basse en montrant la main la plus haute.

Hé oui, le joueur suisse est redoutable puisque à  l’instar du socialo-communiste il sait laisser sa neutralité au vestiaire dès qu’il y a de l’or en jeu. Si vous êtes adroits, avec assez d’expérience, vous vous apercevrez assez vite dès lors qu’il y aura un pot à  partager, que le bolchévo-marxiste, malgré ses valeurs idéologiques, renâclera ostensiblement à  diviser la somme remportée avec les vainqueurs ex-aequo. C’est pour cela, que le poker n’est pas seulement un jeu de hasard, mais aussi un jeu où subsiste une forte part d’analyse des comportements humains.

Tous les bons joueurs vous le diront, il y a une phase d’observation qui consiste en un grand jeu de devinettes, au cours duquel on relève les manies et les tiques de l’adversaire. Mais force est de constater que les Suisses sont des gens très propres, parce qu’ils ne trempent jamais dans des affaires sales. Qu’importe, cela n’empêche pourtant pas les autres joueurs d’ouvrir un oeil attentif et continuer de guetter un tell ((Un tell, de l’anglais « to tell », au poker est un geste ou une attitude qui trahit les intentions véritables du joueur et en dit long sur sa personne.)) et pas un autre.

Ainsi les plus prudents préfèrent jouer aussi serré qu’un café corsé. C’est néanmoins insuffisant, puisque cela ne les empêche pas de tilter ((Action de faire tilt comme un flipper trop secoué.)) sous prétexte qu’ils ont les jetons. Ces joueurs-là  deviennent alors incontrôlables et n’en mènent pas large ; ils s’embarquent sur des coups fumeux et ne comprennent que trop tard qu’on les a mené en bateau tandis que se profile la rivière au bout du tournant ((Le « turn » ou le tournant qui donne le tournis est l’avant-dernière carte dévoilée par le croupier. La rivière ou « river » est la dernière carte retournée par le donneur.)) . Pauvres d’eux ! Ils auront suivi la rivière jusque dans son lit pour mieux aller se coucher. Et voilà  ! D’un geste adroit du poignet notre joueur professionnel les a liquidés sur ce que eux voient comme un revers de fortune.

Reste alors à  essorer les survivants, ceux qui croient encore pouvoir se maintenir à  flot en gardant la foi en leur sacro-sainte chance alors qu’ils oublient que le jeu n’est que péché aux yeux du seigneur. Prenons au hasard l’exemple d’un tirage « 10-7-8-9 », qui n’est pas sans rappeler aux têtes couronnées une date à  marquer d’une pierre tombale. Devant cette flopée ((Les trois premières cartes tirées par le donneur sont appelées le « Flop ».)) de cartes, les rescapés attendent le messie en priant religieusement « Mes six ! Mes six ! Mes six ! » devant leur 6-6, qui n’a rien d’impérial, pour former péniblement une quinte par le bas. Tandis que notre brillant joueur helvète, qui a de la Suisse dans les idées, appelle le Valais à  la rescousse. Un acte qui ne sera pas vain, car vous l’ignorez peut-être, mais la devise de la confédération n’est pas forcément le franc, c’est aussi : un pour tous et tous pour un.

Vous l’aurez donc compris, en cas de besoin, les valets sont d’un grand secours : ils ne chôment pas et franchement, ils ne sont pas trop de quatre pour vider le pot. Pourtant ils sont encore loin d’obtenir toute la reconnaissance qui leur est dûe, puisque le valet reste à  l’Homme ce que le majeur est à  la main, c’est à  dire son majordome, ce qui est à  peine mieux que le petit poucet ou une mise à  l’index.

Enfin il arrive parfois qu’au cours du jeu on possède deux paires, il faut alors avoir le bon réflexe et faire comme mon voisin Bernard et dire : « Tapis ! » ((Tapis ou « All in » lorsque l’on mise tous ses jetons d’un coup.)) Parce que canton a deux paires similaires, elles comptent pour un carré, et j’aime autant vous dire que votre affaire tourne rond puisqu’elle va en laisser plus d’un sur le carreau.

Après un coup pareil, inutile de vous dire que tenter sa chance contre un Suisse, relève à  juste titre du suicide, mais peu importe vous êtes responsables de vos actes si vous tentez le diable, et vous apprendrez à  vos dépends que lorsqu’un confédéré helvétique remporte une victoire il n’est pas en liesse, mais en liasse.

Alors ce n’est pas pour jaboter, mais si j’étais vous j’irai me coucher plutôt que de prendre des risques inutiles face à  des joueurs aussi chevronnés. Après c’est vous que cela regarde si vous aimez vous faire dépouiller, je ne pourrai pas vous en vouloir d’être à  la fois adepte du naturisme et du strip poker 😉

 

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