Je ne manque jamais d’entrain à écrire pour faire rire mon prochain, surtout si mon prochain est la prochaine personne à venir s’allonger sur ma couchette première classe. La compagnie en wagon-lit c’est un vrai paradis. Que voulez-vous, chroniqueur pingouin, ça possède un sacré train de vie ; j’imagine que c’est la raison pour laquelle je déraille.
Vous l’aurez compris, ceci est une chronique ferroviaire.
Tchou Tchou ! En voiture, s’il vous plait !
Notre pingouinesque parcours du combattant consiste en une mise à l’amende de la terrible et redoutable ligne B tronçon Nord du Réseau Express Régional qui relie l’aéroport de Roissy à la Gare du Nord de notre capitale.
Oui, car rarement on aura été aussi mal transporté. D’ordinaire je suis transporté de joie ou d’allégresse, mais en RER vous l’aurez vite compris, le transport devient un enfer. Car l’enfer d’abord, ce sont les autres ; surtout l’été car les voyageurs y sont démunis de toute ventilation valable. C’est la période où l’on sent immédiatement la bestialité de l’être humain, à commencer par l’effet des glandes sudoripares. La simple rame se transforme alors en wagon à bestiaux, sinon en salon de l’agriculture, la poignée de main de Jacques Chirac en moins.
C’est alors le début du règne animal : les banlieusards expriment toute leur animosité à l’égard de la SNCF, qui lorsqu’elle interrompt un de ses trains entre deux stations, paraît le faire si possible en plein soleil tout en nous remerciant de notre compréhension.
Nous pauvres victimes de cette chaleur que nous aurions tous préféré passagère ; nous incrédules que nous sommes, nous nous exclamons en choeur : <<MAIS QUELLE COMPREHENSION ?>>. C’est loin d’être transi que l’usager transilien exprime son animosité envers le transistor du conducteur.
Alors qu’entre les sacs et bagages sur lesquels ils veillent précieusement, les touristes débarqués de l’aéroport international suivent avec intérêt le déroulement de la scène autour d’eux. Tous effarés qu’ils sont, ils s’inquiètent de voir qu’on ne leur avait pas menti lorsqu’on leur promettait un accueil des plus chaleureux aux abords de Paris. Incrédules, ces étrangers qui d’ordinaire ne comprennent déjà pas le français, comprennent encore moins ce qu’il se passe, et faisant un effort pour imiter l’indigène, ils adoptent la position de l’usager moyen : c’est à dire faire la gueule en essayant de ne pas trop se frotter à son voisin qui dégouline de sueur.
D’ailleurs la prochaine fois que cela m’arrive, c’est à dire en rentrant du travail, je dégainerai mon thermomètre, histoire de prendre la température devant témoin. Le diagnostic sera à mon avis le même pour tous : importante fièvre, sueur abondante, odeur nauséabonde, corpus au bord de l’explosion, irritation locale palpable à vu d’oeil et en plein développement. Autant de signes alarmants qui évoquent le malaise du francilien voyageur.
Aussi j’aimerais attirer l’attention aux gérants de la ligne, sinon le signal d’alarme, sur le fait que nous ne sommes pas des marchandises, qui elles n’ont pas besoin de lumière, d’oxygène et d’une température agréable pour voyager. Comme si pour voyager convenablement en train, il fallait obligatoirement prendre l’orient-express ou le wagon blindé d’un dictateur patenté comme Hitler, Lénine ou Kim Jong Il. Je ne voudrais pas paraître Rethondant (( De Rethondes, où fut signé l’armistice mettant fin à la Première )) mais question wagon, je demande un armistice avec la chaleur avant qu’elle n’exerce un diktat plus versaillais que Louis XIV en personne.
Malgré une plaidoirie fleurie de quatrains, je me heurte à l’intransigeance du roi Soleil. Peut-être que si j’avais su m’attirer ses foudres il aurait plu sur le champ, mais le chant du pingouin lui a déplu.
<<Diable, me dis-je, c’est le comble ! Pour quelqu’un plein d’entrain, voilà que c’est moi que l’on boute.>>
Cet accident de parcours me laisse dans le pétrin, quand soudain ! Je sens mon coeur, tout palpitant qu’il est, qui m’étreint puis me contraint à m’asseoir sur mon arrière-train. Le cagnard se déchaîne, je sue à grosses gouttes. C’est le bouquet final ! A son goût astringent, je sens que j’ai trinqué une fois de trop, mais qu’importe le wagon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Gare à la descente, ma chute est vertigineuse. Je me sens partir, à moins que ? Serait-ce possible ?
Un train passe, avec beaucoup d’anges dedans.
Tchou tchou ! Le train redémarre !
Après avoir marqué un arrêt cardiaque mais momentané, notre chronique repart de plus belle, croisant au fil de l’eau le canal Saint-Denis. Elle aiguille sur une voie moins austère, qui nous emmène aux abords du stade de France. Cet autre repaire abonde d’une autre foule constituée d’ordinaire les samedis soirs de supporters et d’hooligans tout azimut. Non loin de la gare vit une cohorte de gens du voyage abrités sous un pont, dans des caravanes qui tranchent singulièrement avec les nouvelles constructions qui ont fleuri autour de l’arène. C’est la dernière station avant de franchir le tunnel qui mène à la gare du Nord, où vous pourrez enfin emprunter votre correspondance pour être à Midi à Bruxelles à toute heure. (( La plus grande gare de Bruxelles s’appelle Gare du Midi))
Le paysage inquiète l’oeil du touriste, qui voit se profiler au loin des tours d’habitations à loyer modéré de part et d’autre du chemin de fer. Mais c’est l’irruption dans le wagon de quelques hommes en bleu de travail et casquette de contrôleur qui détourne son attention et la fixe sur ces passagers qui s’extirpent à la hâte du wagon. Parmi eux un accordéoniste d’origine est-européenne incertaine sinon douteuse.
Quelqu’un lance alors à qui veut l’entendre que ça fait de l’air, pendant qu’un autre a plutôt l’air de s’en faire. Quelques contrôleurs entourent ce dernier tandis que les autres sortent pour essayer d’intercepter le fuyard.
Retentit alors l’implacable : « Bonjour monsieur, votre titre de transport s’il vous plait. » , cette unique expression qui a la capacité de vous faire chercher dans vos poches et vos affaires ce petit bout de carton qui bien évidemment refuse qu’on mette la main sur lui. Le jeune homme cherche si longuement, que les autres contrôleurs ont le temps de remonter bredouille à bord du wagon. Alors que le chauffeur fait repartir le train, que les hommes en bleu de travail et casquette SNCF s’agitent, le jeune homme exulte : « Ah ça y est ! Je l’ai ! ». Les contrôleurs retiennent un soupir à l’idée de perdre la commission substantielle qu’ils perçoivent sur les amendes, entre 5 et 10% paraît-il mais ce n’est pas pour cafter. (( Spéciale dédicace à Nicolas qui se reconnaîtra, car après tout même Dieu reconnaît bien les siens. ))
Toutefois tout ne paraît pas perdu pour eux, lorsque le jeune homme, présente son coupon tenu entre le pouce et l’index, l’air guilleret. De l’air, on peut dire qu’il n’en manquait pas, puisque c’est ce qu’il tenait du bout des doigts.
« La voilà , ma carte imaginaire ! ». (( La carte Imagine’R est une carte de transport valable 12 mois destinée aux étudiants d’àŽle-de-France. )) s’exclame-t-il.
Personne ne bronche dans le RER. Évidemment je souris de voir qu’on puisse encore vivre de l’air du temps et ne pas manquer de ressource pour autant.
« Ecoutez, monsieur, l’amende règlementaire si vous n’avez pas de ticket est de … » annonça péniblement l’agent SNCF avant de se voir interrompre par son interlocuteur, qui sortit cette fois-ci un titre de transport valide. Le jeune homme protesta qu’on ne pouvait plus rire de nos jours. Sans mot dire, les employés du rail poursuivent les vérifications d’usage auprès des autres passagers jusqu’à notre entrée en gare du Nord. Je m’en acquitte, puis joue la fille de l’air non sans faire la queue pour descendre sur le quai où d’autres passagers nous relaient pour alimenter de chaleur corporelle cette dantesque fournaise.
Le RER n’a rien de très entraînant, le personnel n’est pas très souriant quand il n’est pas tout simplement absent. Ce n’est pas pour paraître bourgeois, cependant je crois vraiment que je préfère prendre l’avion. Mais trêve de plainte, les transports sont un luxe que votre serviteur a les moyens de s’offrir, au contraire des habitants des contrées darfouriennes où les déplacements de population, bien que légion, se font sous la contrainte menaçante de miliciens belliqueux.
Alors quand bien même les faits relatés dans cette chronique sont tirées des pénibles expériences estivales d’un francilien, n’oublions pas l’enseignement d’Albert Einstein : il faut relativiser. Ce qui n’empêche pas non plus de chercher à améliorer notre quotidien et celui des autres. Enfin, au train où vont les choses, je le dis, on n’a pas fini de crier gare.
Une réponse à “Train-train quotidien”
Une preuve hélas que le RER B a mauvaise réputation :
http://info.france2.fr/france/32394991-fr.php
http://ligneb.blogspot.com/