C’est un monument hertzien de la petite lucarne que ce coucou éternel, qui roucoule dans tout l’hexagone. C’est le rendez-vous de la famille monoparentale ou recomposée devant l’assiette du soir. Cette émission incarne pour certaines et certains le seul medium d’information fiable en dehors des colportages de la concierge d’immeuble et du bouche à oreille qu’on appelle téléphone arabe dans les cités dortoir.
Inusable et indéboulonable depuis son intronisation au temple de la religion audiovisuelle, le rituel du journal télévisé a survécu au noir et blanc, à deux présidents de la république, aux années 1960 et même jusqu’à nos jours. Aujourd’hui, je reste abasourdi par la quasi absence d’analyste sur le plateau de l’émission. En dehors de quelques interventions éparses lors d’un fait majeur, le spécialiste et son analyse se font aussi rares que le poil sur le galbe parfait de la douce jambe d’une jeune Française qui ne néglige pas de s’épiler.
A l’image de cette femme sophistiquée, nous sommes les Hommes du 21e siècle. Nous avons dépassé le noir et blanc, obtenu la télé couleur, la si peu explosive TNT, et même la haute définition pour mieux voir les dents blanchies de nos présentatrices de journal, qui nous annoncent sans transition aucune pendant une demie-heure les choses les plus cruelles comme les plus incongrues. Nous autres, Hommes de cette époque avant-gardiste que sont les années 2000, nous sommes avides d’information et restons suspendus aux lèvres de la grande prêtresse audiovisuelle. Nous prêtons une oreille attentive (mais attention, je ne suis pas dupe, mon oreille s’appelle REVIENS!) aux nouvelles venues du monde entier, mais ce qu’on nous sert c’est une pâtée informe que même notre chaton refuserait d’avaler tant elle est indigeste même affublée d’une étiquette Ronron.
Cette cochonnerie qu’on nous apporte sur le plateau télé, ce sont des dépêches plutôt du genre très pressées, et non pas de véritables reportages approfondis ; car figurez vous que pendant le temps d’un JT, il s’écoule environ quinze reportages : c’est à dire environ deux minutes pour chacun d’entre eux. Sans tergiverser sur le talent des rapporteurs envoyés sur le terrain pour se livrer à quelques entrevues chronométrées, coupées et montées pour tenir les deux minutes règlementaires, on ne peut pas dire que ce soit très consistant. Certaines choses peuvent paraître alléchantes, mais on n’a pas le temps d’en apprendre plus qu’on avale déjà tout ce qu’on nous expédie sans prendre le temps de mâcher, comme une oie qu’on gave.
Et c’est bien le problème, c’est que je suis gavé de voir à quoi sert la redevance. Je ne suis ni une oie, ni une vache à lait. Si les pouvoirs publics et les impôts ont la recette pour nous faire passer à table, je trouve leur note bien salée pour quelque chose d’aussi indigeste.
D’où ces questions d’un pingouin qu’on a laissé sur sa faim : où sont passés les programmes intéressants ? Qu’est ce qu’on a fait du menu ? Où est la qualité du service public ? N’a-t-on vraiment plus que deux minutes à accorder aux choses d’importance ?
Je divague alors dans mes pensées quand s’affiche sur le petit écran un bonhomme en costume impérial, qui frappant au carreau me regarde froidement à travers la lucarne et m’assène les réponses suivantes : <<Vos programmes de qualité, ils sont passés -passé composé, troisième personne du pluriel- il n’y a rien à faire. Même à la carte, le plat que vous demandez ne sera plus servi à l’avenir ; nous sommes en rupture de stock. Le menu est interactif par le biais de votre télécommande, désormais vous commandez vous-même, et si ce qu’on vous sert vous déplait et bien que Môssieur change de chaîne de restauration, ici c’est comme un self service alors la qualité je peux vous dire qu’elle est passée dans la publicité. Quant à deux minutes, je trouve que c’est bien trop de temps à vous accorder pour vous répondre monsieur le pingouin.>> me rabroue-t-il finalement avec ses manières de manchot rustre en coupant la retransmission.
Je reste bouche bée devant la véhémence de ces propos un instant et puis je me dis que c’est un peu fort de café. J’ai presque envie d’aller chercher monsieur Polac et de faire valoir mon droit de réponse. Et là je me demande : fallait-il vraiment tout reléguer en deuxième partie de soirée à l’heure où nos compatriotes vont se coucher, las de la journée de labeur quotidienne ? N’ont-ils pas le droit de pouvoir suivre à des heures décentes de véritables débats de société, de politique, d’histoire, ou de culture ?
Alors je repense sobrement au mot culture, je cogite et je m’agite, puis me souviens pourquoi il fait tant défaut sur nos écrans. On a coupé la poire en deux ! Et du mot culture, on a gardé les trois premières lettres qui servent aux directeurs des programmes à s’asseoir dessus à plat de couture.
Mon pauvre JT, notre JT à toutes et à tous, tu es fidèle au reste de bien des programmes. Tu ne casses pas trois pattes à un canard, mais on est quand même content de t’avoir, faute de mieux parce qu’on parlera de ce qu’on a vu demain avec les copains. Mais plutôt que de risquer l’indigestion d’information de France Télévisions, je continuerai de faire ripaille de mes petites feuilles de chou quotidiennes où l’analyse subsiste encore, et à qui je souhaite longue vie.
Aujourd’hui n’oubliez pas, c’est la fête de l’Europe, c’est un jour qui devrait être férié chez nous en France. Si vous avez suivi mon conseil du jour précédent, je vous salue et vous souhaite une agréable journée, sinon vous ne savez pas ce que vous perdez.