Après trois chroniques moyen-orientales, j’ai décidé de devenir un peu plus extrême et de vous emmener jusqu’en Birmanie, ce pays qui fait enfin parler de lui. Ce n’est pas pour jaboter, mais le Myanmar est un drame qui dure depuis trop longtemps. Je sais que je devrais écrire de ma plus belle plume d’alcidé afin de vous faire rire, sauf que devant l’ampleur de la gravité de la situation de ce pays j’ai du mal à m’y retrouver tant les maux pour la décrire s’amoncellent.
Et pourtant, la Birmanie, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’a pas que du mâle à manifester, elle a aussi une femme. Une seule femme aujourd’hui contre ces hommes de la junte qui se sont accaparés depuis 45 ans le pouvoir, et qui répriment dans le sang tant les étudiants et les démocrates, que les ouvriers ou les moines. Un tel régime aussi égalitaire de par ses sanctions mériterait justement pour n’en faire aucune, une distinction exemplaire, qui ferait crever d’envie Satan en personne.
C’est évident, les qualificatifs ne manquent pas pour définir l’attitude de ce régime paranoïaque et xénophobe. Et c’est face à des personnes comme feu Ne Win ou l’actuel Than Shwe, que l’on aurait aimé que le ridicule tue. Si Dieu existe, et qu’il a véritablement créé la science économique pour donner du crédit aux prévisions météorologiques ((Ceci est un détournement de blague qui ne m’appartient pas. Elle est tirée d’un recueil disponible chez Éconoclaste.org)), alors vous ne serez pas étonnés d’apprendre que la numérologie faisait partie des compétences monétaires du général Ne Win.
Saviez-vous que le Neuf était le chiffre préféré de ce type-là , de même qu’il s’agissait de son plat favori dans lequel il tua toute tentative de soulèvement populaire ? D’ailleurs pourquoi le Neuf ? Peut-être est-ce par peur d’appartenir un jour au passé ? Et pourquoi pas Cegetel ? Peu importe, toujours est-il que c’est Ne Win, vraisemblablement sur les conseils avisés de son numérologue, qui fit émettre entre autres les très utiles coupures de 45 et 90 kyats ((mais aussi de 15, 35, et 75 kyats qui cessèrent d’avoir cours sans prévenir en septembre 1987, prenant au dépourvu toute la population. C’est à cette issue que les billets de 45 et 90 kyats furent émis en remplacement et sans remboursement des autres coupures suspendues.)) dont, vous l’aurez remarqué, la somme des chiffres cumulés fait bien entendu Neuf. Il faut dire que sur ce coup-là , jamais cette expression n’aura été aussi juste : «l’argent neuf fait pas le bonheur».
En conséquence de ces raisons fantasques, de nouvelles locutions ont éclos au Myanmar. Celles-ci régissent désormais la vie quotidienne et expliquent bien des jugements de valeur. Par exemple, lorsqu’un militaire hésite entre se payer un beau costume et faire la charité à un bonze, il opte automatiquement pour la visite chez le tailleur, tout simplement parce que «l’habit neuf et pas le moine».
Autre illustration : contrairement à l’Inde voisine, en Birmanie c’est le neuf qui est devenu sacré, car «Qui vole un bœuf, vole un neuf» , c’est vous dire si les coutumes sont vachement différentes. Enfin, c’est d’ailleurs à cause du 9 que le pays est entré dans l’isolationnisme le plus complet, car ce n’est un secret pour personne : le nonisme rend sourd. Bref, la Birmanie c’est la nonocratie et non pas la nonne-ocratie qui elle, je n’en doute pas, aurait fait le bonheur des bonzes.
Ne Win, lui en revanche pensait faire le bonheur de tout le monde avec sa burmese way to socialism grâce à laquelle il parvint à placer la Birmanie au bord de la faillite et au rang des pays les plus pauvres de la planète. Fort de cette splendide démonstration en mauvaise gouvernance, il démissionna le 26 juillet 1988 et appela à des élections démocratiques qui faisaient défaut depuis qu’il avait usurpé le pouvoir à U Nu en 1962. Devant cet appel à la démocratie, autant les espérances étaient hautes autant elles furent de courte durée. En effet, le 4 août, Saw Maung, un autre militaire maintint la junte au pouvoir par, oh c’est original, un coup d’état accompagné d’éclats d’obus un peu partout.
Pensant que les astres et la numérologie, en plus du bon droit, étaient de leur côté, les étudiants et les mouvements démocrates manifestèrent le 8 Août 1988 ((Ce que l’on appellera par la suite « the 8888 uprising ».)) face à des militaires qui ouvrirent le feu et qui affichèrent à leur actif un sinistre score de 3 000 victimes.
Saw Maung cet ancien camarade de Ne Win, pensant gagner les élections qu’il allait lui-même organiser, tint donc la promesse de son prédécesseur. Sauf qu’il n’imaginait pas une seule seconde qu’il allait se prendre une belle raclée aux élections de 1990 ((Le 27 mai, la National League for Democracy d’Aung San Suu Kyi obtient 392 des 485 sièges de l’assemblée, alors que les militaires peinent à obtenir 10 sièges.)), et qu’il quitterait le pouvoir officiellement pour raison de santé en 1992, en cédant sa place à celui qui fêtait le 23 avril dernier ses quinze ans de règne : le général Than Shwé.
Tiens, arrêtons nous un instant sur Than Shwé. Saviez-vous que dans l’annuaire pingouinier des relations internationales, Than Shwé est caractérisé par un nom d’oiseau ? Absolument, celui de l’hirondelle. Pourquoi ? C’est à nos sources privilégiées que nous devons la transcription de cette prophétie birmane qui en dit long sur cet homme : «une hirondelle neuve et pas de printemps». Et donc sans considération météorologique ou numérologique, je me dis que l’accession de ce bipède au pouvoir compromettait les chances de voir de beaux jours se profiler dans le paysage politique birman.
Poursuivons le portrait de monsieur Shwé : tout aussi passionné de numérologie que son homologue Ne Win, l’actuel dirigeant birman s’est montré particulièrement assidu dans la pratique de cette science, avec une mention en zérologie. La zérologie, mon cher lectorat, c’est cette formidable capacité à tout réduire à néant. Prenons l’exemple de la fermeture des universités : cette pratique est ancienne puisqu’elle commence avec le dynamitage d’un syndicat étudiant en 1962, se répète suite aux manifestations de 1988, puis se poursuit aussi en 1996 et 1998. Une telle attitude à l’égard des universitaires birmans va finir par me laisser penser que la seule école qui semble vraiment avoir cours au Myanmar c’est la buissonnière. ((Ceci est bien entendu faux puisque les instituts militaires du pays ont poursuivi leurs divers enseignements.))
Pourtant, cela n’a pas empêché Than Shwé de lire au moins un livre dans sa vie : la Disparition de Georges Pérec, et cela bien qu’il en ait dénaturé tout le propos. Oui, aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est un fait avéré. Voici en exclusivité l’explication du pourquoi du comment. E, comme vous le savez est la cinquième lettre de l’alphabet. Cette lettre souffre, murmure-t-on dans les milieux introduits de la junte militaire, d’un mauvais feng-shwé pour ce qui est de la zérologie appliquée.
Or, comme vous le savez, le généralissime birman est aussi attaché au 9 que Ne Win l’était, à la différence gastronomique que Than Shwé a poussé le vice un peu plus loin. Les explications qui vont suivre sont limpides croyez-moi, car aussi absurde que ce raisonnement puisse paraître, elles expliquent les agissements du dictateur.
Donc, pour en revenir à la Disparition, dans ce roman c’est la lettre E qui disparaît, or tout le monde sait que le 9 fait pas d’omelette sans casser d’E. Et pour casser de l’E, que fait-on ? L’on pratique la disparition, chose que les diététiciens les plus critiques à l’égard du régime condamnent et dénoncent comme étant de l’E-thanasie ; c’est vous dire si Than Shwé a l’appétit du pouvoir. Ceci-dit, je suis sûr que vous comme moi aimeriez mettre un terme à cette histoire sans faim, parce qu’elle est franchement dure à digérer.
Une réponse à “La Birmanie ? On s’en soucie.”
[…] de cette pratique numérologique actuelle dénommée la zérologie via mes billets sur la nonologie birmane ou les cinq dernières minutes […]