C’étaient les corons ?



Oui, il nous a quittés. Mais non ! Pas Pierre Bachelet, c’est déjà  fait et c’était en 2005. Voyons, je parle de Raymond Barre. Oui, de Raymond Barre, lui-même. Je ne pouvais pas titrer « Raymond se barre », c’est trop facile quand même. Même chose pour « Bon débarras », je serais tombé bien bas ou pire ça vous aurait mis sans dessus dessous. Et puis comme je ne suis pas là  pour le juger, j’éviterai de l’appeler à  la Barre. Allez que diable, d’ailleurs ce n’est pas pour le chat botté que je vais filer du bar à  toutes les sauces.

Tâchons plutôt de comprendre pourquoi l’imbécile de pingouin que je suis a titré cette chronique d’une poilante parole de feu le baryton Pierre Bachelet.

Samedi matin avant de m’envoler vers un repos bien mérité à  Fort Mahon, j’entendais Barre-ci Barre-là  à  la radio cette nouvelle que le Figaro titrait ainsi : «Un esprit carré dans un coron.», qui à  vrai dire sont les propres mots du défunt Premier ministre à  son égard. J’ai beau chercher, mais je ne vois pas ce que les corons ont à  voir là -dedans, surtout venant d’un homme qui est né aux antipodes, à  Saint-Denis de la Réunion. Il doit peut-être y avoir un jeu de mots en profondeur avec les Barre à  mine, mais cela doit relever du sixième pied sous terre, ou alors c’est encore un malentendu.

Puisque Raymond Barre était un esprit carré dans un corps rond, je me demande bien par quel angle l’on peut cerner le personnage. Tentons une approche économique … rappelons-nous que cet homme d’état est à  l’origine de néologismes complexes ((Ou de Barre-Barre-ismes, c’est encore une question de point de vue.)) comme le système monétaire européen, voire même du terme union monétaire européenne et donc quelque part un père de l’euro.

Bien que considéré par son président de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, comme le meilleur économiste de la profession, Raymond Barre, qui devait détester le baratin, manifestait un talent certain à  préférer l’impopularité à  l’irresponsabilité. Libre à  chacun de déterminer si les propos qu’il a tenus après l’attentat de la rue Copernic ((Le 3 octobre 1980, le Premier ministre, exprimant son indignation à  la suite de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic à  Paris, avait déploré « cet attentat odieux qui voulait frapper des Israélites qui se rendaient à  la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic« .)) étaient seulement impopulaires ou également maladroits de la part d’un homme qui pouvait se targuer d’avoir depuis près de quatre ans l’expérience du pouvoir à  Matignon.

Malgré un record d’impopularité à  l’époque en raison d’une situation économique préoccupante et des politiques d’austérité, qui lui valurent le surnom de Père la rigueur de la part de la gauche, d’autres Premiers ministres ((De gauche comme de droite.)) par la suite s’attachèrent avec zèle à  ébranler son score, dont notre homme avait pourtant placé la barre assez haut.

Mis au placard en 1981 par la victoire de François Mitterrand, notre homme n’hésita pas sept ans plus tard à  être candidat, en vain, à  la présidentielle de 1988. Cantonné jusque là  à  l’opposition et à  un poste de député, il fit fi de ses rondeurs en juin 1995, et rebondit à  la mairie de Lyon où sévissait un orage politique, aussi Noir que le maire Michel pouvait l’être, et qui contraignait ce dernier à  botter en touche avec Bernard. A la surprise de ses détracteurs, il parvint à  redonner plus de crédit à  cette cité qu’une banque locale ne parvenait à  le faire. A la barre de Lyon, il rendit à  la ville l’occasion de rugir à  nouveau de plaisir.

Enfin devenu retraité politique en 2002, l’homme ne faisait plus guère parler de lui. Et bien qu’il fut reconnu pour ne pas faire barboter les canards en racontant des bobards, il défraya pourtant la chronique en mars de cette année sur France-Culture en tenant des propos, qui lui valurent une dernière vague d’accusation d’antisémitisme. A croire qu’il préférait vraiment l’impopularité en définitive. Peu importe, ce n’est pas ici qu’il fera du barouf, puisque ses obsèques auront lieu au val-de-grâce sous les derniers hommages d’hommes politiques moins ronds et sans doute moins carrés, mais corons plus que lui.

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *