Parfois, on ne connait rien aux histoires belges et pourtant on a envie de les comprendre.
Si je vous dis que la première dame de l’Equateur a honte d’être belge, vous pourriez croire que je suis d’humeur blagueuse et pourtant ce n’est pas un gag. En effet, vendredi, Anne Malherbe, épouse Correa, a mis les pieds dans le plat pays et y a fait part de son mépris pour les autorités dont elle a comparé les méthodes à celles de la Gestapo (choses qu’elle a démenties pourtant hier). Karel, ministre des Affaires étrangères de son état, a trouvé la remarque de mauvais Gucht, et a convoqué l’ambassadeur équatorien pour lui donner son point de vue.
Mais que se passe-t-il donc ?
C’est une histoire de sans-papiers près de Bruxelles qui fait les choux gras de la presse, dont les journalistes effeuillent chaque jour un peu plus le quotidien de deux Equatoriennes en situation irrégulière.
Pour en revenir aux méthodes prétendument dignes de l’époque nazie, je dirai volontiers que celui qui a véritablement agi comme au temps de la collaboration avec l’Allemagne, c’est ce citoyen zélé. En effet, ce vilain raccuspoteur ((C’est le terme belge pour le français rapporteur.)) dénonçait le 30 juin dernier, une femme et sa fille sous prétexte qu’il pensait avoir affaire à deux gitanes. Un mauvais prétexte s’il en est, puisque l’on peut être belge et rom à la fois ; c’est rare mais c’est possible. En plus, ce n’est pas pour jaboter, mais je suis presque certain qu’il n’a pas touché la moindre prime de délation, ce qui laisse à penser que c’était là un acte vraiment gratuit. Qu’on ne l’y reprenne plus, car cette fois-ci nombre de Belges seraient prêts à le lui faire payer.
Parmi eux, donc, la première dame de l’Equateur ((Le président Rafael Correa avait rendu visite à ces deux concitoyennes le 18 juillet.)) qui rendait visite lundi dernier à celles qui seraient reconduites à la frontière le lendemain. Anne Malherbe déclarait après leur entretien être «gênée d’être belge » en dénonçant les conditions de détention.
Survient alors un rebondissement dans l’affaire.
Le lendemain, la mère déclare avoir été maltraitée sur le tarmac de l’aéroport international de Schiphol-Amsterdam d’où elle devait être rapatriée. Des certificats médicaux indiquant que les deux Equatoriennes auraient subi des mauvais traitements ((D’après Le Soir on relevait des hématomes aux genoux, ainsi qu’une blessure au tibia et aux mains de la mère.)) parviennent en même temps qu’une requête d’urgence adressée au tribunal de première instance de Bruxelles.
Ce dernier indiquera que la détention d’une mineure était illégale, et fait libérer la mère et la fille, sans pour autant remettre en cause la validité de la reconduite à la frontière. Les deux Equatoriennes sont bel et bien ramenées en Belgique tandis que l’Office des étrangers fait appel de la décision.
De même, les forces de l’ordre, accusées deux jours plus tard par la plainte contre X de la mère pour coups et blessures, nient avoir levé la main sur les deux personnes. Au demeurant, si les centres fermés ne sont pas de véritables geôles, il paraît peu probable de s’y voir cajoler. Mais surtout l’accusation de coups et blessures qui auraient été portés évoquait une affaire similaire survenue en 1998 où une jeune femme nigériane de 20 ans, Semira Adamu, mourrait asphyxiée.
Si les noms des deux Equatoriennes ne sont pas cités ici, ce n’est pas pour leur anonymat puisque l’affaire est bien connue outre-Quiévrain, mais pour rappeler que leur aventure aurait pu être tout aussi bien le fait d’autres personnes venues d’autres pays avec leur(s) enfant(s) et aurait pu se transposer dans d’autres pays européens.
Les Belges, comme les Français, peuvent se plaindre du nombre trop élevé d’immigrés en présence sur leur territoire, ils n’atteindront jamais la proportion d’étrangers que compte la Suisse ((Soit 20% à la fin de l’année 2006. En France, l’INSEE recensait 8,1% d’étrangers en 2003. Et l’on en dénombrait 8,21% en Belgique pour la même année 2003.)) .
Qu’importe si les deux protagonistes de cette histoire ordinaire profitent ou non d’une solution politique ((Même les Français se rendent bien compte à quel point envoyer la première dame est un geste important.)) et médiatique à l’avenir. Peu importe aussi qu’elles soient utilisées pour servir les fins nationalistes de deux gouvernements qui veulent se donner chacun raison dans leur façon d’agir, l’un en dénonçant la façon dont sont traités ses ressortissants hors du pays, et l’autre en se donnant bonne conscience en élaborant des projets de développement et des mesures d’accompagnements aux personnes reconduites.
Cette mère et cette fille n’étaient pas venues pour ôter le pain de la bouche d’autrui ; elles n’étaient pas des trafiquantes ou des passeuses. En réalité, elles n’ont jamais demandé qu’à avoir une vie heureuse et meilleure que ce que leur pays d’origine avait à offrir.
Belge ou ne pas l’être, tel est le dilemme. Si elles avaient été belges, la question ne serait jamais posée. Or, elles étaient Equatoriennes, et cela a tout changé dans leur rapport avec les Belges.
D’ailleurs maintenant que je vous ai dit cela, je commence à me demander comment vous traitez les pingouins ordinaires ? Je vais méditer là dessus. Et puisque je n’ai plus rien nadir, c’est sans remord que je prendrais bien toutes les latitudes pour bronzer en parallèle de mes chroniques, que ce soit sous les tropiques ou dans les pôles, à condition que le soleil soit à son zénith. Si ce n’est pas le cas, je fais comme lui, je m’éclipse sur le champ. Et comme l’on dit en Equateur qui est un pays où les choses ne traînent pas : « Au Quito dit, au Quito fait. », me voilà libre comme l’air.