Mais qu’est ce qu’elle a bien voulu la France ? Je vais vous le raconter, ça s’est passé un jour dont je ne me souviens plus de la date. Tout ce dont je me souviens c’est que c’était un rêve, un matin, et vous savez, je n’ai jamais été aussi heureux que ce matin-là … Et j’espérai que toute la vie serait pareille à ce matin… aux couleurs, de monsieur Pingouin.
Mais ce matin-là , mon téléphone a sonné en catastrophe. L’immonde sonnerie aiguillonna mon ouïe si péniblement que je me levai aussitôt pour faire taire ce vacarme, abandonnant de mauvais coeur mon nid douillet (pourquoi croyez-vous systématiquement que le pingouin vit dans un igloo, ou pire, dans un congélateur ?) . J’avais la tête encore embrumée par les beaux songes d’une femelle alcidée me susurrant des mots doux comme : petits œufs à couver ensemble et fécondation animale. Pourtant j’ai décroché pour mettre un terme à ce tintamarre puis déclaré de ma petite voix calme : <<Bonjour, Monsieur Pingouin à l’appareil, à qui ai-je l’honneur ?>>.
<<C’est toi, Pingouin, mon petit phénomène à pattes jaunes ?>> me répondit la charmante voix de mon interlocutrice, qui malgré tout oubliait systématiquement que je n’ai pas les pattes jaunes des manchots. Mais à elle, je lui passai bien des caprices : elle pouvait me confondre avec un manchot, je lui pardonnais. Parce qu’à la France, en général on répond toujours à son appel, à celui-ci comme à celui du 18 juin.
<<Oui, qu’est ce que je peux faire pour toi ?>>, oui pour toi parce que la France et moi on se tutoie, ça fait presque trente ans vous savez.
<<Je suis à Sainte Anne, en observation, chambre 909, ils disent que je suis victime de troubles psychologiques… des troubles de l’identité, personnalités multiples. Tu veux bien venir me voir ?>> m’expliqua-t-elle tristement, me faisant comprendre que l’heure était grave.
<<Evidemment, j’accours, je vole à ton secours, Marianne. (Vous vous en seriez doutés, la France s’appelle Marianne en privé)>> lui répondis-je d’un battement d’ailes, car moi je suis un pingouin, et moi je vole, pas comme les manchots qui eux ne font rien qu’à se ramasser lamentablement par terre.
Je défroisse mes ailes, y vais de ma plus belle plume puis m’envole jusqu’au sommet de l’hôpital sainte Anne, rue Cabanis dans le quatorzième. C’est l’avantage d’être un pingouin, on n’a pas besoin de prendre le métro aux heures de pointes, en revanche on doit supporter les erreurs de pilotage des pigeons ivres qui ne font rien qu’à roucouler et à fienter sur les monuments de la capitale.
Toujours est-il que j’arrive indemne à la fenêtre de la chambre où ma bonne amie tourmentée se lamente.
<<Ah, c’est toi mon ami ? Si tu savais ce qu’il m’arrive, j’ai tant de personnalités que bientôt je vais finir par croire que j’entends des voix.>>
Je tente une boutade pour prendre la température : <<C’est le syndrome de Jeanne d’Arc, ça, j’imagine.>>
<<Pas de mauvais esprit, veux-tu, je n’ai pas envie de finir comme elle : brûlée après avoir été jetée en pâture à un cochon d’évêque, non merci. Le destin de la France mérite mieux que le bûcher, tu ne crois pas ? Tu sais, petit pingouin, je suis vraiment malade, j’ai hésité à partir en cure à Vichy, mais la dernière fois ça ne m’a pas trop réussi. J’ai même pensé au Suisse-ide, mais Genève ce n’est pas folichon en cette saison.>>
C’était donc ça ! Elle avait voulu en finir une bonne fois pour toutes, mais pourquoi ? La situation atteignait une gravité extrême sur l’échelle de Newton, et pourtant je feignis de ne pas m’alarmer.
<<Tu as bien fait, Marianne. De toute façon le guet d’Orsay t’a à l’oeil, et il n’aurait pas aimé apprendre que la France franchisse les Alpes sans sa permission. Tu connais les diplomates, ils ont peur que ça donne une occasion aux militaires de déclencher la Troisième. Mais maintenant que je suis là , veux-tu bien me dire de quoi est-ce-qu’il retourne exactement ?>>
<<Oh c’est compliqué, c’est à cause des Français ; je ne sais plus où j’en suis. Mon peuple me fait tourner la tête, et c’est bien la seule chose qu’il a de commun avec la môme Piaf. Ils braillent à tue tête que je suis de gauche, de droite, d’en haut, d’en bas, du centre, ou des extrêmes. Je ne m’appartiens plus, on me revendique de partout ! Mon peuple me tire vraiment dans tous les sens au point que j’en perds mes points de repère et toute notion d’arithmétique. Tu sais, mon pingouin, je ne comprends pas bien comment ils font pour parler de moi aux quatre coins de l’hexagone, alors que j’ai beau recompter il y en a définitivement six.
En plus de cela, ils disent que je suis malade, que j’ai une fracture sociale, c’est dire si c’est grave, sans parler de mon train de vie et de ma dette… Tu comprendras que je déprime, mon vieux, parce que si je les écoutais je serais la France sans dessus ni dessous, quand bien même je suis connue pour mes porte-jarretelles et ma lingerie fine.>>
J’acquiesce à nouveau, avouant que tout ceci est bien contradictoire surtout quand j’ai l’occasion de jeter un œil coquin et furtif pour vérifier ses propos. Je laisse néanmoins ma douce France, cher pays de mon enfance, poursuivre l’énumération de ses tracas.
<<C’est à cet instant là que je me suis mise à douter de moi, et à m’imaginer que j’étais l’une ou l’autre de ces France qu’ils décrivaient, au lieu de me rappeler que j’étais belle et unique, l’incarnation d’un idéal pour le genre humain. On m’a toujours dit que j’étais avant-gardiste et éclairée ; j’étais quand même la première femme à protéger les droits de l’homme et du citoyen avant ceux de la femme. Les Français ne peuvent quand même pas dire que je ne les ai pas choyés plus que les Françaises. Mais s’ils continuent comme ça je vais me faire voir chez les Grecques.>>
Alors qu’elle paraissait outrée du peu de retour affectif de la gent masculine à son égard, je la contredis aussitôt.
<<Marianne, pas besoin de rendre visite aux Hellènes. Je crois que tu te laisses influencer, tu n’aurais pas trop écouté de sondages ou regardé la télévision à heure de grandes écoutes ces derniers temps ?>>
<<Un peu, j’avoue. Peut-être beaucoup. Tu crois que ça a une influence ?>> me demanda-t-elle inquiète des effets ravageurs de la petite lucarne.
<<Je crois hélas que oui ; sois fidèle à toi-même, Marianne. Tu n’as pas besoin d’écouter tout ce qu’il se dit à ton propos, car tu as ton libre arbitre. Sans vouloir faire l’oiseau de mauvaise augure, je croasse que tu as prêté une oreille trop attentive aux autres, qui voulaient faire main basse sur tes états d’âme, pour les publier dans quelque colonne putride sous la plume d’un canard nauséabond dont je ne saurais toucher la couverture tant j’ai peur qu’il nous salisse : ta réputation et moi.>>
<<C’est donc ça, tu penses ? Que j’ai trop prêté attention aux autres ? Que je suis incapable de m’en remettre à mon propre jugement ? Alors peut-être que je devrais m’abstenir de t’écouter à l’avenir… va t’en, pour l’heure je ne t’aime point.>> me répondit-elle vexée et en colère.
Haussant les ailes devant l’incroyable fossé qui sépare la Française de l’alcidé, je tournai les pattes et m’envolai retrouver mon nid douillet.
Sans vouloir être misogyne avec l’espèce humaine, moi pauvre pingouin ordinaire je vous le dis, quand je parle à cette France-là , je ne m’étonne jamais qu’elle oublie tout sentiment fraternel, et parle de sa liberté comme si ça lui était égal. Et puis zut, je vais vous dire ce que je pense : <<Les femmes… elles ne font rien qu’à épuiser les hommes en général, et souvent ce n’est pas pour leur déplaire qu’ils les laissent avoir raison.>>
2 réponses à “Ce jour où la France a voulu…”
[…] l’occasion de l’anniversaire du blog de monsieur Pingouin, son amie Marianne a obtenu une permission et a pu quitter l’asile de Sainte Anne pour se réfugier auprès de […]
[…] elle demanderait l’aide de monsieur Pingouin pour mourir de rire, d’autant que la France a déjà des précédents en la matière.1 Mourir de rire est bien la seule chose dont je veux bien périr puisque c’est vivifiant, et […]