Sélection présidentielle au festival des Philippines


Vous le savez, j’aime parler des dames oiselles. Mon lointain cousin Philippe Pingouin se réjouissait lui aussi de me parler de sa nouvelle amie rencontrée au détour d’une escale forcée pendant une pandémie de grippe aviaire. Mais plutôt que de vous narrer une histoire de petits becs emmêlés comme les pinceaux d’un peintre qui n’arrive plus à  se concentrer devant la beauté de son modèle, mon cousin estime que je devrais plutôt parler d’autre chose que des piailleurs de notre espèce qui préfèrent ripailler plutôt que d’imiter les Chiliens qui ont longtemps aimé pignocher ou pinailler ; ni lui ni moi ne nous souvenons plus du terme humain exact. Enfin, ne chinoisons pas trop, je crois qu’il est question ici de pinoy et de pinay c’est-à -dire à  nouveau des Philippins dans cette chronique de pingouin ordinaire. ((Pinoy et pinay étant les vocables familiers par lesquels les hommes et les femmes de ce pays se désignent. ))

En effet, avant que je ne m’égare dans des considérations bassement stomacales qui flirtent allègrement avec le bas de la ceinture, mon cousin Philippe voulait jaboter au sujet de l’ élection présidentielle qui a lieu aujourd’hui dans cet archipel. Lui laissant la parole, il commença par évoquer une histoire de fantômes quelque peu vraisemblable si l’on accorde autant de crédit à  ce genre de phénomène qu’à  un pays méditerranéen connu pour sa mythologie budgétaire. Mon cousin me dît : « Alcidé, ne te méprends point, puisque mon esprit est bien sain. Même outre-tombe, nombre d’électeurs s’acquittent encore de leur devoir civique. C’est un fait, là -bas même les morts votent. Pour te dire, il paraîtrait que le droit de vote aurait été étendu aux abeilles, aux fleurs et même aux oiseaux ! »   (( Déjà  en 1949, c’est ce que l’on prétendit dans la province de Lanao del Sur pendant l’élection du libéral Elpidio Quirino. Cela s’est poursuivi, et des candidats comme l’actuelle présidente Arroyo y ont remporté dans certains bureaux l’intégralité des suffrages de la population en 2004. La province, et même la région de Mindanao où elle se situe, a malheureusement conservé cette réputation. ))  C’était bien la première fois que j’en entendais une pareille. Allais-je devoir militer pour la reconnaissance universelle du vote aviaire ? Ma naïveté cessa dès lors que j’eus compris qu’il était question de fraude électorale. Comment l’homo sapiens accorderait-il à  la gracieuse espèce aviaire le droite de vote alors qu’il semble regretter que la femme le possède ?

Philippe poursuivit son récit en m’indiquant que les cartes mémoires des machines de vote électronique étaient défectueuses puisque 76 000 d’entre elles ont été rappelées pour être corrigées. Il faut dire qu’au cours d’une élection factice   ((Une mock election, qui si elle était étendue à  tout le pays constituerait une véritable moquerie électorale. )) cette semaine, elles avaient fourni un résultat somme toute intéressant puisque dix votes répartis sur les deux candidats favoris avaient produit au final dix votes pour un candidat tiers … l’actuel ministre de la défense.  ((Ces machines de vote sont censées permettre une élection plus sereine et moins entachée de soupçons de corruption que toutes les précédentes. Elles doivent également fournir un résultat plus rapidement que par le passé ; sauf que malheureusement cette erreur de comptage semble discréditer le résultat de l’élection quel qu’il soit, et s’il y a trop de contestations ou de refus de connaître la victoire du candidat vainqueur, il faut s’attendre à  ce que le prochain locataire du Malacaà±ang préside sans avoir de véritable légitimité. Bref, c’est un triste calcul qui risque d’en rendre plus d’un bilieux. ))  Une telle amnésie a de quoi alimenter les conspirations les plus folles comme celles qui comptent faire croire que les deux candidats favoris seraient en cheville avec la très contestée présidente sortante. ((On a ainsi combiné les noms des candidats Aquino et Villar avec celui de la présidente Gloria Arroyo, fabricant ainsi les candidats Gloriaquino et Villarroyo dans le but de les discréditer. )) En effet, celle-ci est parvenue à  atteindre un nouveau sommet d’impopularité  ((Depuis son élection contestée en 2004, les affaires d’achats de voix du scandale ‘Hello Garci !’, ou la controverse d’un prétendu détournement des fonds publics destinés à  l’achat d’engrais qui auraient été utilisés pour alimenter les caisses de son parti, ou encore les accusations de corruption à  l’encontre de son époux et de sa progéniture, la présidente Gloria Macapagal Arroyo n’a pas cessé d’être contestée. ))  , même s’il n’y a personne pour tirer un bilan clair et net de ses années d’exercice. Surtout, cela ne l’empêche pas de se présenter au Congrès, briguant un mandat dans son district natal de la province de Pampanga dans le but diront les mauvaises langues d’obtenir une immunité parlementaire ou de convoiter la présidence du Congrès selon les plus paranoïaques, ce qui prouve qu’elle n’a guère besoin d’autrui pour éviter de passer par la case prison.  ((À ce sujet, je me permets une petite digression en vous racontant que les Philippines sont un pays tellement démocratique que l’on peut y être élu sénateur depuis la cellule d’une prison en menant une campagne internet active comme l’a fait le militaire mutin récidiviste Antonio Fuentes Trillanes quatrième du nom, et qui en dépit de sa vie carcérale est parvenu à  véritablement assumer le train de vie dévolu à  sa fonction. ))  À moins que de toute façon, ce soit peine perdue à  l’encontre de quelqu’un qui au jeu du monopoly judiciaire a nommé 14 des 15 juges de la Cour suprême, dont l’indépendance sera soulevée si la présidente Arroyo était jamais mise en cause dans une affaire quelconque.  ((De manière générale, l’observateur extérieur raisonnable a peine à  croire que de réelles peines judiciaires puissent être durablement infligées à  n’importe quel politicien philippin. Ce propos n’inclut pas, bien sûr, les éliminations définitives auxquelles ont recours entre eux certains politiciens comme à  Ampatuan en novembre 2009.)) Ou qu’il ne faille s’inquiéter de quoi que ce soit dans la mesure où elle-même avait chassé et condamné son prédécesseur puis l’a ensuite amnistié en dépit de sa condamnation à  perpétuité ((Joseph Estrada fut déposé en janvier 2001, amené ensuite devant le parquet en avril 2001. Il obtint le droit de quitter sa cellule en appel en juillet 2004, et fut enfin jugé coupable de corruption (de pillage économique en fait) en septembre 2007. L’amnistie survint un mois plus tard en octobre et rendit à  Estrada ses droits civiques et politiques. )) tant et si bien que celui-ci se présente à  nouveau à  la présidence.

Ce qui amène Philippe et moi-même à  nous interroger sur la fiabilité des candidats en tête des sondages, puisque tous veulent éradiquer la pauvreté, réduire la corruption, contenir la criminalité et la pollution, sans oublier de promouvoir l’éducation. Autant de belles promesses qui fleurent bon l’électoralisme. Pour départager ces Dom Juan du vote, que reste-t-il ? Le grand favori des sondages, le sénateur libéral Noynoy Aquino, ne semble presque devoir sa présence qu’au départ de son ancienne présidente de mère le 1er août 2009.  ((L’engouement populaire a été tel, que le sénateur Manuel Roxas IIème du nom a dû renoncer à  être le candidat des libéraux pour la présidentielle, devenant ainsi le candidat à  la vice-présidence. Cette popularité est telle qu’un seul sondage a donné une autre place que celle de premier à  ce candidat. )) Pour répondre à  cela, ses adversaires ont souligné sa faible activité politique ainsi que le fait qu’il manque de charisme et traîne encore le boulet de la Hacienda Luisita. Le second, le sénateur nationaliste et multi-millionnaire Manny Villar ou monnaie Villar comme je le surnomme, possède une longue expérience politique mais il a quelque peu exagéré son ascension sociale ((Manny Villar se présentait comme un enfant d’une famille nombreuse et miséreuse pour que les Philippins le trouvent plus sympathiques que les autres, sauf que ceux-ci ont montré que son père était fonctionnaire et que sa mère était un peu plus haut placée qu’une simple vendeuse de poissons. Ceci dit, cela n’enlève rien à  sa réussite sociale et entrepreneuriale, en partie due aux richesses de la famille de son épouse, les Aguilar, des propriétaires terriens de Las Pià±as dans la périphérie de la capitale, Manille. )) et  semble être impliqué dans la modification du tracé de l’un des périphériques de Manille afin que celui-ci desserve des terrains qu’il possède. ((C’est la peu explosive mais néanmoins déroutante controverse du périphérique C5 dont le tracé passe par Las Pià±as. Toute relation avec la note de bas de page précédente est évidemment fortuite. )) Lui, semble devoir sa deuxième place à  sa popularité gagnée à  coup de renforts publicitaires ((Près de 20 millions d’euros dépensés depuis novembre 2009, à  peu près le maximum autorisé pour un candidat du second tour … en France. Par comparaison, le second candidat le plus dépensier aurait dépensé à  peu près le tiers de ce montant. On notera au passage qu’un des spots publicitaires de Manny Villar est une copie d’un candidat malheureux en Argentine. )) . Le troisième n’est autre que l’ancien acteur et candidat Joseph Estrada, alias Erap ((Alias « Mon pote » pour les intimes puisqu’il s’agit de l’anagramme de pare qui veut dire ‘pote’ en tagalog. ))  l’ami des pauvres mais pas des communistes du nord ni des rebelles musulmans du sud à  qui il avait déclaré la guerre pendant son mandat. Malgré le fait d’avoir été déposé et reconnu coupable de corruption, il reçoit encore le soutien d’une partie des masses, ce qui, compte tenu des fortes prévisions de participation, est sans doute un atout pour réaliser un bon score. Le quatrième, Gilberto Teodoro IIème du nom alias Gibo  ((Un nom que je déforme allègrement pour dire Gibo le plus, peut le moins ; étant donné son score dans les sondages il peut le moins. Et avec un parti dont les défections ont été nombreuses, il doit pouvoir obtenir le moins bon résultat. )) est un juriste diplômé de Harvard et cousin éloigné de Noynoy Aquino. Son poste de ministre de la défense du gouvernement de la présidente la plus impopulaire que l’archipel ait connu à  ce jour ne l’aidera guère dans son combat, et ce, même s’il est réputé être le plus intelligent parmi les candidats. Quant aux autres candidats, pas forcément déméritants comme le sénateur Richard Gordon, le président de la Croix Rouge locale, ils manquent tout simplement d’audience et sauf surprise (ou fraude massive) ne parviendront pas à  se hisser au sommet de l’unique tour de cette présidentielle.

De fait, mon cousin Philippe est partagé sur l’issue du scrutin et pense que finalement nous ferions mieux de parler de dames oiselles, surtout que les beaux jours semblent être de retour. Après tout, les humains, Philippins ou autres, nous laissent tellement de possibilités de médire d’eux, que si leur sélection naturelle par les urnes devait aboutir à  un résultat ridicule, nous n’en serions pas étonnés.


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