Suharto, Acte III : Abba Suharto


Dames oiselles chéries, gentils damoiseaux aux sentiments distingués, cher lectorat adoré, l’heure est grave.

Les organes de presse internationaux nous ont fait part ce matin de la disparition du regretté Suharto alors même que le troisième acte de sa biographie était encore inachevé. Puisque le général se dérobe tant à  la justice qu’aux pingouins, à  défaut de ne pouvoir en faire de même avec feu le sujet de ce billet, je vais tâcher de le boucler.

Si je commence cette chronique en prétendant que Gimme, Gimme, Gimme et Money, Money, Money figuraient parmi les chansons favorites de monsieur Suharto, je parie que vous allez me qualifier de menteur voire de boney’m menteur, sauf qu’à  mon humble avis ces charges-là  sont absolument abba-cadabrantesques.

Ce n’est pas pour jaboter, mais il ne faut pas confondre les tarins avec les alcidés. Eux ont du nez, et moi du flair pas comme Tony. Si vous pensez que je suis un menteur, alors regardez mon nez et s’il s’allonge c’est qu’il s’agit des chroniques d’une marionnette ordinaire.

Reprenons donc avec «Monnaie, monnaie, monnaie» ((Il ne s’agit pas ici d’un péage bien connu des conducteurs d’automobiles empruntant l’autoroute A10, même si parfois je me demande à  quel point les bipèdes peuvent être inspirés pour donner des noms à  certains lieux.)) . Qu’est ce que Suharto a bien pu monnayer – sinon son âme au diable prétendront les exorcistes de tout poil – pour résister aussi longtemps ?

S’agit-il de son programme de contrôle des naissances que les plus démoniaques dénonceront comme une audacieuse tentative pour se faire passer pour un faiseur d’anges ? Quel était le secret de la réussite de cet homme si honnête que l’on surnomma son épouse madame dix pourcent ? ((Ibu Tien percent ; Ibu pour madame ; Tien comme petit surnom affectif parce qu’il y tenait beaucoup.))

Suharto, dont les politiques discriminatoires étaient bien connues à  l’égard de tout ce qui avait un nom trop chinois et qui n’était pas d’origine javanaise, possédait quelques amis qui font figure d’exception, du genre de celle qui confirme la règle bien entendu. Le dirigeant indonésien octroyait à  son compère commerçant Sudono Salim ((Qui s’appelle Liem Sioe-liong de son vrai nom.)) , des marchés dépourvus de concurrence. ((Par exemple le monopole concernant l’achat et l’importation de blé via la filiale Bogasari du groupe Indofood (filiale du groupe Salim), qui faisait affaire avec le BULOG (Bureau de Logistique) qui fait office de Caistab à  l’indonésienne. Vous verrez d’ailleurs que l’un des fils de notre général chéri a cherché aussi à  en retirer quelques gains, et vous verrez aussi qu’il était loin d’être le seul comme ici ou là . Ce n’est qu’un maigre exemple, mais si vous vous intéressez aux grands groupes asiatiques, une récente thèse sur le groupe indonésien Salim pourra vous éclairer sur leur fonctionnement et sur la relation entre la famille Suharto et la famille Salim. Et si vous aimez vraiment les amis de Suharto, vous pouvez aussi consulter ceci à  propos de Bob Hasan, un spécialiste en déforestation.)) En échange, le général bénéficiait des largesses de ses amis ou de participations dans leurs entreprises.

Cette remarquable association entre personnes entreprenantes d’origine chinoises et personnes d’origine indonésienne s’appelait Ali-Baba ((Afin de favoriser une classe d’entrepreneurs indonésiens de souche pendant la période Soekarno (et même ensuite), les licences d’importations étaient réservées aux hommes d’affaires locaux. Les entrepreneurs d’origine chinoise – considérés comme étrangers – durent donc se livrer à  un petit jeu de prête-nom. D’où la construction ali-baba avec Ali pour les Indonésiens, Baba pour les Chinois.)) , ce qui laissait présager que les quarante voleurs ne devaient pas être loin ou alors qu’ils faisaient partie du lot. Pendant trente-deux ans, Suharto put donc briller sur les pistes de danse de la scène internationale, montrant à  quel point il savait interpréter supertrooper au Timor ou à  Aceh.

Même si l’invasion du Timor oriental – suivie du retrait total de l’armée indonésienne un quart de siècle plus tard – s’avéra être une victoire à  la Pyrrhus, ce ne fut pas non plus Waterloo ((La Timor, en revanche, fut un échec cuisant pour son fils Tommy qui prétendait fabriquer une voiture nationale… construite en fait en Corée du Sud. Si Tommy avait été mieux inspiré, il aurait su que Timor était déjà  une marque d’insecticide ivoirienne qui a raison des loustics en son genre.)) . La chute de Suharto ne s’amorça pleinement qu’avec la crise financière thaïlandaise et sa propagation au reste de la région sud-est asiatique, amplifiant ainsi les mécontentements, les protestations liées à  trente années de pouvoir caractérisés par la corruption, la collusion, et le népotisme.

Sa dernière prestation internationale fut un studieux S.O.S. en duo avec un certain Michel Camdessus, dont la pochette de l’album a fait fureur. Vint alors le temps de la retraite pendant que les P4 du contingent prenaient le pouvoir. P-quatre comme le nombre de présidents qui ont depuis succédé à  Suharto et qui ont entamé cette ère que l’on appelle la Reformasi. ((À l’attention de mon lectorat qui serait trop jeune pour avoir entendu parler du service militaire, quelques brèves explications sont disponibles sur ce lien wiktionnaire.))

Sacré Suharto, c’est maintenant que tu te défiles, en faisant un dernier pied-de-nez à  la justice qui avait dû renoncer à  te poursuive pour tes problèmes de santé qui trainent depuis cinq ans. J’aurais toujours beau dire, tu étais un sacré bipède. Tu as tout de même assuré l’équilibre alimentaire à  ton pays et contribué à  le sortir de la misère. Et comme tu as toujours été généreux, tu ne nous as pas laissés seuls : tu nous as laissé trois garçons et trois filles dont on peut dire qu’ils ont vraiment de qui tenir. Grâce à  toi, ils sont à  l’abri du besoin, même si Tommy ferait bien de se tenir à  carreau.

Alors salut le dictateur, repose en guerre aux côtés de ton hibou préférée car grâce à  toi les Than Swhé et consorts sont tranquilles pour leur avenir. Ils savent que depuis Pinochet et toi, peu de monde viendra leur demander des comptes, et surtout personne n’arrivera à  leur en extorquer quoi que ce soit.


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